Cap-Ouaga, haut lieu des arts plastiques

Samedi 23 Décembre 2017 - 11:34

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Le Carrefour des arts plastiques de Ouagadougou (Cap-Ouaga) s'est tenu en novembre dernier dans divers lieux de la capitale burkinabé.  De la Villa Yiri Suma au Künstraum 226 du Goethe-Institut en passant par le Hangar 11, l’Espace Napam Beogo ou la Villa Opale.

Français, Lucien Humbert est un amateur d’arts et de culture, installé depuis 2008 au centre de Ouagadougou, dans le quartier Koulouba. Il a débaptisé sa maison « Yiri Suma » qui signifie « l'ombre d'un arbre » en dioula, une des langues utilisées en Afrique de l’ouest. Un nom en rapport avec l’arbre qu’il a planté au milieu de sa cour.D’année en année, la galerie d’exposition de Yiri Suma est devenue un centre de gravitation pour les artistes burkinabés.

Lucien Humbert été parmi ceux qui ont lancé le premier Festival des arts plastiques à Ouagadougou en 2009, en mémoire d’Élisabeth Mouillé-Gouin qui s’était beaucoup investie pour le développement de la culture en Afrique de l'ouest.

En 2011, avec ses partenaires le Goethe-Institut et l’Institut français, Cap-Ouaga choisit de centrer son festival sur « Les arts plastiques et l’espace urbain », en souhaitant montrer que les arts plastiques permettent de montrer les espaces partagés, publics, autrement.

Dans ce cadre, la première exposition de la Villa Yiri Suma fut consacrée à une vingtaine de photos de monuments de la capitale burkinabé, telle un livre d’histoire du Burkina Faso.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Comment l'art urbain est-il arrivé à Ouagadougou?

Lucien Humbert : L'art plastique, avant la révolution de Sankara, c'était surtout des statues du batik et du bogolan. Dans l’espace public, il  y avait juste une demi-douzaine de  bustes de petite taille de personnalités de la Haute Volta (députés voltaïques à l’Assemblée nationale française, personnalités religieuses ou s’étant investies dans le développement social, médical). L’époque de Sankara a été marquée par l’installation de monuments urbains (trois à quatre statues par an).

Après la mort de Sankara, aucun monument n’a été érigé à Ouaga pendant une dizaine d’années. Puis ils ont refait surface (au rythme moyen d’un par an) de plus grande taille, avec l’apparition aussi de monuments d’architectes et non plus seulement de statues d’artistes plasticiens. Le boom de la peinture d’arts à Ouagadougou date de 1994, avec l’initiative de Ouag’Art.

L.D.B. : Cependant, Cap-Ouaga ne cherche pas à mettre en valeur les sculptures urbaines.

L.H. : Dans notre première exposition à Yiri Suma, nous avons montré une vingtaine de photos des monuments de Ouagadougou. Dans la ville, il y en avait une quarantaine en totalité à cette époque pour revivre l'histoire. Mais Cap-Ouaga a un autre défi. Celui de montrer comment l'espace urbain pourrait être représenté et vécu par l'art plastique. On est très loin d’une idée de l'art qui s’accroche dans le salon d'un collectionneur. Au Burkina, de toutes les façons, il n’existe presque pas d’amateurs, de critiques d’arts, ni d’école d'arts...

Ici au Burkina la lutte pour l'art contemporain est différente de celle des pays où l'art plastique s'est établi vite, mais a aussitôt été formatée par des codes néo-coloniaux occidentaux. Et c'est peut-être notre chance, vue que les choses ne sont pas écrites et gravées de façon incontournable par des normes lointaines. Il peut encore surgir une authentique idée de soi même !

L.D.B.  : Ouagadougou pourrait -elle devenir la capitale de l'art plastique comme elle l'est pour le cinéma et le théâtre ?

L.H. : Difficilement ! Notre défi est plutôt de bâtir une plateforme où les plasticiens peuvent nous montrer nos réalités au travers de leurs œuvres. Les arts vivants comme la musique, le théâtre ou le cinéma sont omniprésents mais l'art plastique moderne détaché de références et de patrimoine est absent de la société au Burkina.

Cet art dérange car on n’est pas en mesure de lire « mot à mot » un récit. La pédagogie de l’enseignement classique vise à remplir les têtes, et peut-être à développer une créativité, mais on doit chercher en soi même une capacité créative !

Pourtant, il y a une formidable prolifération d’artistes reconnus au niveau international, qui se sont formés sans école et qui rêvent et font rêver. Mais ils sont en marge de la société.

L.D.B.  : L’art plastique peut-il survivre dans une ville poussiéreuse comme Ouagadougou ?

L.H. : On ne veut pas montrer uniquement un art pour accrocher dans un salon. Nous prenons le contre-pied de cet enfermement dans la marchandisation qui est le produit d’une société de consommation basique. On veut montrer que l’environnement qui nous entoure est une œuvre d’art. Cela ne dépend que de notre regard. Si on regarde comment les motos sont rangées aux parkings, comment les chaussures de sport multi-couleurs sont rangées par terre par les vendeurs, on se rend compte que cette ville fourmille de vibrations artistiques qu’on ne voit pas.

Ici les artistes autodidactes n’ont que peu de formatage avec ce qui se fait ailleurs, mise à part la référence de Basquiat qui leur parle énormément. Ils sont « entre deux mondes » : celui de leurs villages et celui rencontré dans leur espace urbain, comme une fenêtre sur un monde, d’ailleurs encore mal connu.

On montre ce qu’on apprend dans l’école de la vie. Et cela donne une fraîcheur de regard.

 

Propos recueillis par Sasha Gankin

Légendes et crédits photo : 

Photo 1: Lucien Humbert Photo 2 et 3 : Exposition à la galerie Yiri Suma

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