COP21/ Cardinal Peter Turkson : « Une croissance économique non viable va à l’encontre de la protection de l’environnement. »

Samedi 14 Novembre 2015 - 15:28

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Le Cardinal Peter Kodwo AppiahTurkson est le président du Conseil pontifical «  Justice et Paix » du Vatican. Il a contribué à la rédaction de l’encyclique « Laudato si’ » du Pape François, rendu public le 18 juin dernier.

Les Dépêches de Brazzaville : le Pape François a publié l’encyclique sur l'environnement « Laudato si’ ». Pourriez-vous nous faire un résumé de ce texte ? 

Cardinal Turkson : le propos de l’encyclique est centré sur la question : « Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants qui grandissent ? » (§ 160). Le document comporte six chapitres. Le premier chapitre présente d’abord la situation actuelle en fonction des meilleures données scientifiques disponibles à l’heure actuelle. Le deuxième chapitre examine ensuite les enseignements de la Bible et de la tradition judéo-chrétienne. Le troisième chapitre situe la racine du problème dans la technocratie et dans l’égocentrisme de l’être humain. L’encyclique, dans son quatrième chapitre propose ensuite « une écologie intégrale, qui a clairement des dimensions humaines et sociales », liée inextricablement à la question environnementale. Dans cette perspective(cinquième chapitre), le Pape François invite à engager un honnête dialogue à tous les niveaux de la vie sociale, économique et politique en vue de processus décisionnels transparents et rappelle au sixième chapitre qu’aucun projet ne saurait être efficace s’il n’est pas animé par une conscience formée et responsable. Deux prières concluent ce texte : l’une est offerte pour être partagée avec tous ceux qui croient en  Dieu Créateur Tout-Puissant  et l’autre, à ceux qui professent leur foi en Jésus-Christ, et qui est ponctuée par le refrain « Loué sois-tu » (Laudato si’), placé au début et à la fin de l’encyclique. La nouveauté de l’encyclique tient à l’accent mis par le Saint Père sur la double dimension morale et spirituelle, ainsi qu’à l’insistance avec laquelle il demande aux personnes qui exercent un pouvoir économique et politique de prendre conscience de toute la réalité humaine touchée par leurs décisions. Laudato si’ nous équipe et nous encourage à chercher des réponses à la fois aux besoins criants des pauvres et de la planète – « Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale. » (§ 139).  Tout le monde reconnaît la gravité des problèmes environnementaux et sociaux que doit affronter l’humanité. Il ne suffit pas, actuellement, de dire que les problèmes de la pauvreté, de l’injustice, de la dégradation sociale et environnementale, devront être résolus « un jour ». L’encyclique du Saint Père montre avec quelle sagesse et quel courage il affronte ces enjeux difficiles et intriqués de façon globale, là où d’autres pourraient prétendre qu’il ne faut s’occuper que d’une partie du problème, ou l’ignorer tout à fait.

LDB : Comment les questions environnementales sont-elles étudiées ou traitées au sein de l’Église catholique ?

CT : Depuis un demi-siècle, l’Église consacre une attention accrue à ces questions.  Dans les premiers paragraphes de Laudato si’, le pape François se penche sur les enseignements de ses prédécesseurs : saint Jean XXIII, le bienheureux Paul VI, saint Jean-Paul II et le pape émérite Benoît XVI. Dans l’ensemble de l’encyclique, sont insérées de nombreuses citations de Conférences épiscopales régionales et nationales, y compris celles du Continent africain.

LDB : Quelles sont les actions qui sont menées à ce sujet ?

CT : Laudato si’ suggère un grand nombre d’actions diverses, depuis les petits gestes faciles à poser, même pour des enfants – par exemple, éviter toute consommation inutile d’électricité à la maison, ou mettre un chandail plutôt que de monter le chauffage – jusqu’aux orientations globales qui doivent prendre en compte la dimension à la fois humaine et spirituelle des problèmes.  Il y a aussi des exigences de grande envergure, mais tout de même pratiques, concernant les leçons à tirer du cycle naturel : « les plantes synthétisent des substances qui alimentent les herbivores ; ceux-ci à leur tour alimentent les carnivores, qui fournissent d’importantes quantités de déchets organiques, lesquels donnent lieu à une nouvelle génération de végétaux » … l’application de ce modèle naturel au « cycle de production et de consommation » (§ 22) par la récupération des matières plutôt que leur rejet. Nous devons « adopter un modèle circulaire de production qui assure des ressources pour tous comme pour les générations futures, et qui suppose de limiter au maximum l’utilisation des ressources non renouvelables, d’en modérer la consommation, de maximiser l’efficacité de leur exploitation, de les réutiliser et de les recycler » (§ 22).

LDB : Quel intérêt l’Église catholique ou le Pape ont-ils dans la question de la protection de l’environnement ?

CT : Une croissance économique non viable va à l’encontre de la protection de l’environnement. En fait, il s’agit des situations où les choix politiques sont dominés surtout par les intérêts économiques, et où les activités économiques visent uniquement le profit. Lorsque les coûts humains et environnementaux sont ignorés, alors la croissance économique devient néfaste, dommageable et non viable.

LDB : Comment l’Église catholique compte-t-elle influencer les dirigeants du monde afin que le Sommet de Paris sur le changement climatique ne soit pas de nouveau un échec ?

CT : La Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) qui se tiendra à Paris est une sérieuse opportunité à saisir pour parvenir à une entente sur les émissions de carbone. Les accords constitueront des jalons importants, mais là encore, même si le Sommet de Rio, en 1992,  a vraiment été innovateur et prophétique pour son époque, les accords n’ont été que peu mis en œuvre parce qu’aucun mécanisme adéquat de contrôle, de révision périodique et de sanction en cas de manquement, n’avait été établi. Les principes énoncés demandent encore des moyens, efficaces et souples, de mise en œuvre pratique. » (§ 167).

LDB : Qu’est-ce que l’Église attend de ce sommet ?

CT : Une entente sur le climat qui soit juste, équitable, ambitieuse et durable.

LDB : Au regard des enjeux économiques et à l’exploitation des ressources, l’encyclique du Pape ne ressemble-t-elle pas à un vœu pieu ou à un chapelet de bonnes intentions ? 

CT : Il est beaucoup trop facile de faire peu de choses ou de ne pas agir du tout, puis d’invoquer des excuses. Des règlements adéquats, des politiques intelligentes et des objectifs valables sont sabotés constamment par les forces d’intérêts égocentriques. Il faut vaincre cet égoïsme. Depuis que l’humanité a commencé à se doter de gouvernements, il est manifeste que, sans une conversion morale et une transformation des cœurs – sans un sens civique enraciné dans la morale et la spiritualité – les personnes ont tendance à éviter et à contourner les règlements, les politiques et les objectifs. Et ce sont les pauvres, qui ont relativement peu de pouvoir, qui voient leur situation se détériorer quand sévissent la corruption et l’absence de conversion morale.  L’Église, jadis, s’adressait à l’ordre social comme un genre de corps étranger, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’Église du Concile Vatican II et surtout l’Église de Gaudium et spes désire manifestement se situer à l’intérieur de tout l’ordre social et accompagner l’humanité alors que les dirigeants de la planète prennent acte de l’urgence de prendre des mesures décisives et de se doter de nouveaux instruments.  L’Église est disposée à accompagner chaque palier de prise de décisions, chaque forme de gouvernance, et cette façon d’être « l’Église dans le monde moderne » inclut, semble-t-il, un style nécessaire et bien accueilli de leadership moral.  Voilà pourquoi l’action de l’Église ne tente pas seulement de rappeler le devoir de prendre soin de la nature, mais en même temps, elle doit aussi surtout protéger l’homme de sa propre destruction (Laudato si’ § 79 citant Caritas in Veritate § 51).

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Le Cardinal Peter Turkson. Crédits photo AFP

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