Couleurs de chez nous: les biens de la rue

Vendredi 7 Septembre 2018 - 20:11

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« Elle appartient à l’Etat », disent les Congolais pour traduire la neutralité de la rue, son caractère de patrimoine public. En d’autres termes, la rue n’est pas privée. Si bien que toute chose supposée être de la rue tombe dans la masse commune et perd, à ce titre, sa nature. Et sa valeur !

C’est ainsi que dans le vocabulaire de chez nous, pour discréditer une personne, on lui colle cette étiquette de : « enfants de la rue » ; « femmes de la rue » ; « vendeurs de rue » ; etc. Mais  pour ce qui est des « enfants de la rue »,  cette expression a évolué et désigne ces enfants que l’on voit errer dans les rues et pour diverses raisons : l’irresponsabilité ou le décès des parents, manque de tuteur ou de famille d’accueil, délinquance juvénile, etc.

Ces enfants, considérés comme un danger pour la société, sont souvent recueillis par des structures spécialisées ou des organismes de défense des droits des enfants avec l’objectif de les réinsérer socialement via leur scolarisation. Plutôt que de les qualifier d’« enfants de rue », on les désigne par une expression policée : « Enfants en situation de rue ».

Dans notre cas, sont aussi appelés « enfants de la rue », ces enfants nés hors mariage. Une expression péjorative et à la limite méprisante et réductrice malgré les dispositions légales qui reconnaissent les mêmes droits aux enfants, qu’ils soient issus ou non d’un mariage.

Comme les enfants, il existe aussi des « femmes de rue ». Une qualification qui vient des « femmes au foyer » pour jeter l’opprobre sur toutes celles qu’elles jugent suspectes autour de leurs maris ou sur toutes les innocentes qui peuvent partager un temps avec les hommes. Ces derniers n’échappent pas non plus à la critique sociale.

En effet, une épouse trahie et victime des infidélités de son époux contera aux siens que celui-ci mange dans la rue (ce qui est différent d’aller au restaurant) ou dort dans la rue. Dit dans ce langage, n’allez pas penser que l’homme serait devenu un sans-abri qui passe ses journées et ses nuits au pied des immeubles, comme on le voit en Europe et en Amérique.

Il en va des humains comme des choses. Pour preuve, il existe des médicaments dits de la rue plutôt qu’en pharmacie et contre lesquels des campagnes sont organisées dans le but de montrer leur dangerosité à la population. Mêmes observations pour « la nourriture de la rue » qui, restant longtemps exposée aux mouches et aux intempéries, est considérée comme nuisible à la santé.

« Enfants de rue », « femmes de rue », « médicaments de rue » ou vendeurs de rue » : cette construction, en français, ne restitue pas la réalité sociale ou culturelle du Congo. Car il s’agit d’une interprétation directe du lingala, l’une des deux langues nationales du Congo qui nourrit la musique des deux rives et évolue avec elle au point de bénéficier de tournures et autres allégories.

En parlant de femme de rue, je me rappelle «Mwasi ya bar » (femme de bar) chantée par le célèbre journaliste en lingala, Laurent Botséké.  

 

Van Francis Ntaloubi

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