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Fatou Bensouda : La justice pénale internationale comme bouclier de l’humanité contre les crimes sexuels et à caractère sexiste

Lundi 3 Mars 2014 - 0:30

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La violence sexuelle est une arme de guerre parce qu’elle est utilisée contre les populations civiles pour les humilier, pour détruire les liens sociaux et communautaires. Les femmes et jeunes filles violées sont souvent exclues de leurs communautés

Fatou Bensouda, Procureur de la Cour pénale internationale ©DRC’est une arme qui ne coûte rien, mais qui est d’une efficacité redoutable. Elle sert à punir et à intimider des individus – pour la plupart des femmes – et leurs communautés. Cette réalité est exacerbée en situation de guerre ou de conflits armés et en situation postconflictuelle.

En effet, les enfants nés de ces viols seront parfois haïs par les communautés et par leurs parents, perçus comme une prolongation du viol. Les hommes violés devant leurs familles et leurs communautés sont humiliés et ne sont plus capables d’assurer leurs rôles de chefs de village ou de leaders communautaires.

Les crimes sexuels sont au centre et au premier plan des enquêtes et poursuites de la Cour pénale internationale (CPI), car les abus sexuels sont instrumentalisés dans chaque conflit. Pourtant, il reste que la violence à l’égard des femmes est un concept récent dans le droit international.

Pendant trop longtemps, les mécanismes utilisés par la justice contre les crimes internationaux n’ont tout simplement pas pris en compte la perspective des droits de la femme. Ce n’est qu’au début des années 1990 que les crimes de violences contre la femme et les filles ont été enfin pris en compte. Le procès qui marque un changement radical est le jugement du cas d’Akayesu, au Tribunal pénal international du Rwanda, en 1998 : pour la première fois de l’histoire, le viol a été reconnu comme instrument de génocide, changeant la définition du viol. Comme les juges l’avaient reconnu dans la décision, le viol est utilisé pour « tuer la volonté, l’esprit, la vie elle-même ».

Depuis ce tournant crucial dans l’histoire de la justice pénale internationale et la reconnaissance des violences faites aux femmes, le bureau du procureur de la CPI a pour priorité claire de prendre en compte les crimes sexuels dans chaque enquête, chaque poursuite. Notre personnel reçoit des formations à cet égard. Nous avons une unité qui traite spécifiquement des violences faites aux femmes et aux enfants. Mon bureau est également en train de finaliser un document de politique générale sur les crimes sexuels que nous comptons lancer d’ici quelques jours. De fait, l’existence de ces crimes est reconnue au cœur même de chaque procès, ce qui démontre à quel point les abus sexuels sont instrumentalisés dans chaque conflit. Nous travaillons avec de nombreux partenaires externes pour assurer la poursuite et contribuer à l’éradication des crimes sexuels et sexistes.

De plus, nous collaborons étroitement avec la société civile ; les ONG ont un rôle essentiel, et je salue le travail important des groupes locaux investis dans la question des violences sexuelles dans les pays touchés par une affaire. Ces groupes sont parfois les seules formes de soutien aux victimes de crimes sexuels.

En effet, au-delà de la furie et l’horreur de ces actes, les crimes de violence sexuelle sont une source de honte et de nombreux malentendus. Ils ont été oubliés, sont restés impunis pendant trop longtemps. Je suis convaincue que le droit et les procédures judiciaires peuvent faire la lumière sur des crimes de cette nature, punir leurs auteurs et donner la parole aux victimes. Et que le droit, l’application systématique et juste du droit, contribuera à faire évoluer les comportements.

Les droits des femmes et des filles sont également des droits humains. Je joins ma voix à celles des défendeurs des droits des femmes, partout dans le monde, qui se battent pour mettre fin à ce fléau qu’est la violence sexuelle. Et je m’engage à défendre le droit de tous, de chaque femme, chaque fille, chaque enfant, de vivre une vie sans crainte de violence.

Originaire de la Gambie, Fatou Bensouda est Procureur de la Cour pénale internationale depuis le 15 juin 2012. Avant d’occuper cette fonction Fatou Bensouda a occupé le poste de procureur adjoint chargé des poursuites de la CPI de 2004 à 2012. Avant d’exercer à la Cour pénale internationale, Mme Bensouda a occupé les postes de conseiller juridique et de substitut du procureur au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha (Tanzanie).
Précédemment elle a été Attorney General et Ministre de la justice de la République de Gambie.

Fatou Bensouda, procureur de la Cour pénale internationale

Légendes et crédits photo : 

Fatou Bensouda, Procureur de la Cour pénale internationale ©DR