Interview. Arthur Mizère Mambou : « Le rastaman est un comportement positif vis-à-vis de la nature »

Vendredi 28 Décembre 2018 - 12:03

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Il n’est pas rare de se promener dans la ville de Brazzaville sans tomber sur une personne qui a des locks. Ce look utilisé à la fois par des artistes musiciens et par des citoyens qui veulent se faire beau crée la confusion au niveau de son interprétation. Les commentaires vont dans tous les sens. Les reggaemen, les rastamen et les locksmen en font leur marque. Notre rédaction s’est approchée d'Arthur Mizère Mambou dit Rasta Rezesse, un des premiers rastas dans Brazzaville, qui dégage la différence entre ces trois types de personnages.

Les Dépêches du Bassin du Congo (L.D.B.C.) : Peut-on savoir, d’entrée de jeu, la différence entre un reggaeman, un locksman et un rastaman ?

Arthur Mizère Mambou (A.M.M.) : Le rastaman est un comportement positif vis-à-vis de la nature tout entière. Il a donc le respect de l’eau, de la plante... Bien   sûr avec ses défauts. Il y a des locksmen mais qui ne sont pas des rastamen. Eux, ils en font une coiffure pour paraître certainement plus jolis que les autres. Il y en a d’autres qui portent les locks évidemment mais qui sont reggaemen, c’est-à-dire qu’ils sont nés avec le feeling reggae et jouent à la musique [reggae]. Ils font donc de la musique ; une musique qu’ils ont aimée. Cependant, le rastaman n’est pas un religieux.

L.D.B.C : On parle quand même du rastafarisme. N’est-ce pas là une religion ou une doctrine quelconque ?

A.M.M. : Si le rastafarisme était une religion, on aurait des prêtres. Vous ne verrez nulle part au monde des rastamen rassemblés pour dire des prières de Jésus-Christ, de Mfumu Kimbangu, d'André Grénard Matsoua. C’est plutôt un comportement qu’est censé avoir tout individu sur terre pour la bienveillance et la bienfaisance de l’humanité.

L.D.B.C. : Les rastamen ne croient pas en ce Dieu qui a créé le ciel et la terre? On a vu Bob Marley tourné sa foi vers Haïlé Sélassié 1er, le roi d’Ethiopie pour le vénérer.

A.M.M. : Effectivement. Quand Bob Marley s’est reconverti, il a été baptisé au nom du roi d’Ethiopie. Il prendra pour nom de baptême Haïlé Sélassié 1er. Vous ne pouvez pas vous imaginez un instant le mal que ces Noirs déportés de l’Afrique pour l’Amérique ont subi sous le joug des anglophones. C’étaient des esclaves. Ne pouvant pas supporter ces traitements inhumains, leurs pensées étaient toujours tournées vers l’Afrique. Quand on pense souvent à son Afrique, on fait des rêves pour cette Afrique. Voilà pourquoi j’ai toujours dit que cœur à cœur et de tout cœur, tous nous devons prendre l’Afrique à cœur. Et de bon cœur, on dit toujours des bonnes choses. A partir de là, nous ferons de notre continent un endroit adorable, formidable, déjà que nous sommes riches. Ce qui fait aussi la différence du rastaman des autres dont vous avez parlé en amont, c’est sa particularité. Celle du port des couleurs vert-jaune-rouge et noir.

L.D.B.C. : Que symbolisent toutes ces couleurs ?

A.M.M. : La couleur noire symbolise l’invisibilité, parce que le rasta doit être invisible à un certain moment. Le rouge, c’est le sang versé des innocents, le jaune c’est la sagesse et le vert c’est cette espérance que nous avons de cette Afrique. Une Afrique pour laquelle nous pensons qu’elle arrivera à bon port. C’est la raison d’être du rastaman. C’est ça le sens de sa foi.

L.D.B.C. : Les rastamen sont très attachés à la tradition et ont aussi un profond respect pour la nature. Comment vous expliquez cela ?

A.M.M. : Qu’est-ce qui n’est pas nature ? La nature c’est nous tous. Mais comme on avait été doté d’un raisonnement, nous devons nous arrêter un instant pour dire que tout ce que nous regardons est nature. Le rasta étant conscient de son état de nature, préfère s’attacher à la nature. Si nous, nous sommes attachés à la tradition, c’est que chaque peuple a une tradition. Il doit s’y accrocher. Le double attachement du rastaman à la tradition et à la nature le démarque, le différencie des locksmen et des reggaemen.

L.D.B.C. : Les rastamen sont très accrochés au chanvre…

A.M.M. : Oui, apparemment. Il reste à savoir si le rasta fume du chanvre. Lucky Dube qui était un grand rasta n’a pas fumé du chanvre. Si vous sillonnez les commissariats, vous verrez des gens arrêtés pour avoir consommé du chanvre mais, ce ne sont pas des rastas. Il faut aussi dire que le chanvre est une herbe de la nature ; on peut s’en approprier. Voilà pourquoi dans certains pays en Occident, on a commencé à légaliser la consommation du cannabis, par exemple. Parce qu’on est en train de réaliser que le chanvre a des vertus thérapeutiques. C’est le cas du Canada, pour ne citer que ce pays. Mais, nous n’encourageons pas ici la consommation du chanvre. Au beau vieux temps, ne pouvait toucher au chanvre que l’enfant dont l’âge avoisinait la trentaine. Il devait être initié à sa consommation. Cela faisait partie de notre tradition. Aujourd’hui, sa consommation est interdite par les lois en vigueur dans notre pays, le Congo.

L.D.B.C. : On vous reproche de ne pas vouloir travailler et que vous êtes toujours accrochés à la guitare ?

A.M.M. : Effectivement. Le rastaman est très paresseux. Or, aujourd’hui, l’homme doit travailler. Ce que je déplore, c’est que les rastamen que nous sommes, sommes très oisifs. Alors que le rasta a un bagage intellectuel intéressant qu’il peut bien mettre au profit de sa société.

Propos recueillis par A. Ferdinand Milou

Légendes et crédits photo : 

Arthur Mizère Mambou

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