Interview. Blaise Ndala : « La littérature congolaise est d’une grande richesse, d’une grande variété et en plein essor »

Jeudi 15 Mars 2018 - 13:30

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Blaise Ndala fait partie de la nouvelle génération d’écrivains congolais qui bénéficient d’un grand succès au niveau international. Son premier roman « J’irai danser sur la tombe de Senghor » est en train d’être adapté à Hollywood par le réalisateur franco-algérien Rachid Bouchareb.

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pourriez-vous nous rappeler brièvement votre parcours académique et professionnel ?

Blaise Ndala (B.N.) : Je suis titulaire d’une licence en droit de l’université de Kinshasa, d’un DES en droit international des droits de l’Homme de l’université catholique de Louvain et d’une maîtrise en administration publique de l’Énap du Québec. Je suis donc à la fois juriste et spécialiste des politiques publiques. Après des débuts au barreau à Kinshasa, mon expérience professionnelle s’est surtout bâtie au Canada où je suis arrivé en 2007, dans différents postes au sein de la fonction publique fédérale. Il y a de cela deux ans, j’ai accepté une mission en Haïti comme représentant d’avocats sans frontières Canada, avant de revenir à Ottawa où je travaille désormais à titre d’enquêteur correctionnel pour le bureau de l’ombudsman des détenus sous responsabilité fédérale. Comme vous pouvez le constater, rien de tout cela n’a le moindre rapport avec un destin d’écrivain.        

L.C.K. : Vous êtes l’auteur de deux romans à succès qui se sont retrouvés en lice pour de nombreux prix. Pourriez-vous nous faire un résumé du contenu de ces deux ouvrages et quel était le message principal de chacun d’eux ? Pourriez-vous également expliquer le sens des titres choisis et pourquoi ce choix ?

B.N. : Le premier, J’irai danser sur la tombe de Senghor, revisite le « combat du siècle » à Kinshasa, en 1974, entre Mohamed Ali et George Foreman. Mais c’est tout, sauf un roman sur la boxe. J’ai voulu simplement me servir de cet événement historique comme d’un alibi pour proposer une fresque du Zaïre et des mœurs zaïroises, une décennie après l’arrivée au pouvoir de cet animal politique à la fois fascinant et redouté que fut Mobutu Sese Seko. On y suit le destin du jeune Modéro, la mi-vingtaine, qui quitte son village dans le Kwilu pour Kin-la-belle où il rêve d’intégrer le groupe Zaïko Langa-Langa. Modéro finira dans les coulisses du « combat du siècle » et nous en dévoilera l’envers du décor, le tout sur fond de rivalité entre le jeune dictateur zaïrois et le président-poète sénégalais Léopold Sédar Senghor. C’est de là que cette fiction tire son titre.  Dans Sans capote ni kalachnikov, qui relève carrément de la satire, je propose une lecture décalée de la société du spectacle et de l’image qui est la nôtre. Un monde où la pauvreté, née des guerres et autres tragédies, est devenue une marchandise parmi d’autres, que différents acteurs du show-biz et de la galaxie « humanitaire » placent au cœur des agendas qui n’ont souvent rien à voir avec « l’aide aux pays pauvres ». Ça se passe dans un pays fictif nommé Cocagnie et toute ressemblance avec un ailleurs que le lecteur connaît serait, bien sûr, fortuite. On y parle d’exploitation frauduleuse des minerais, de rébellions armées sans tête mais avec mille queues qui sèment la désolation… Alors que y perdure une constipation électorale bien carabinée, on y parle du goût amer des rêves qui se meurent au bout des kalachnikovs. Le titre m’a été inspiré par ce théâtre foutraque où le premier roublard venu se présentera volontiers sous la tunique du bon Samaritain.  

L.C.K. : Votre premier roman J’irai danser sur la tombe de Senghor est en train d’être adapté à Hollywood par le réalisateur franco-algérien Rachid Bouchareb. Comment s’est faite la rencontre ? A quel stade en est cette adaptation et quel est votre rôle dans cette aventure cinématographique ? Quelles sont vos attentes par rapport à cela ?

B.N. : La rencontre avec Rachid Bouchareb s’est d’abord faite de façon virtuelle, il y a plus d’un an, lorsqu’il m’a contacté pour me dire qu’il avait lu et aimé mon roman, qu’il souhaitait en faire un film. On s’est par la suite retrouvé à Paris, en marge du Salon du livre où j’étais allé présenter mon deuxième roman, alors que lui était en tournage pour son film qui sortira fin 2018. Nous nous sommes revus, il y a exactement un mois, à Los Angeles pour passer en revue la première ébauche du scénario. Il faut préciser que, entre-temps, il avait acquis les droits auprès des éditions L’Interligne et m’avait proposé, à ma grande surprise, la co-scénarisation. Le projet est donc à ce stade où nous finalisons l’écriture du scénario. Parallèlement, le réalisateur poursuit le travail de casting à Hollywood. Mes attentes sont, j’imagine, les mêmes que ceux de n’importe quel romancier devant une aventure aussi inattendue, aux côtés d’une grande figure du cinéma contemporain : que le projet aille jusqu’au bout et qu’il accouche d’une seconde vie pour J’irai danser sur la tombe de Senghor. Je rêve surtout du jour où ce film pourra être vu à Kinshasa et ailleurs au Congo, mais aussi au Canada où je vis.

L.C.K.: Qu’est-ce qui vous inspire, en tant qu’écrivain, dans la rédaction de vos livres ? Quels sont vos thèmes de prédilection et pourquoi ?

B.N. : L’inspiration, que je qualifie souvent « d’intruse », surgit de n’importe quelle idée, de n’importe quel fait. Je l’attrape au vol, tantôt en lisant un article de presse, tantôt en écoutant une conversation dans le train, une émission à la télé… Je ne saurais dire si j’ai des thèmes de prédilection. La littérature reste pour moi un champ infini où toute délimitation dans l’acte de créer ne peut être que temporaire, le temps d’un manuscrit. Cela dit, il se trouve que je suis assez intéressé par l’usage que les humains font du pouvoir qu’ils détiennent les uns vis-à-vis des autres, quel qu’il soit. Sans que cela ne se résume aux bons sentiments qui, à l’évidence, n’ont pas leur place dans l’essence de la littérature, la question de la justice sociale habite le juriste des droits humains que je suis. Il y a également celle de la transmission de la mémoire des peuples à travers le temps et l’espace ou la question pernicieuse des identités avec son cortège de leurres et de lueurs tout au long de l’Histoire. Bref, rien n’est figé.

L.C.K. : Comment analysez-vous la littérature congolaise aujourd’hui ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses ?

B.N. : Quand j’entends « littérature congolaise », je pense à ce qui s’écrit depuis les deux rives du fleuve Congo, en y incluant, bien entendu, la création diasporique. C’est ma fibre panafricaniste. C’est une littérature d’une grande richesse, d’une grande variété, en plein essor. Si des noms comme Alain Mabanckou, In Koli Jean Bofane ou Fiston Mwanza Mujila tiennent aujourd’hui le haut de l’affiche au sein de l’espace francophone, le spectre est très large et continue de s’étirer. Il inclut des poètes, des dramaturges, des romanciers, souvent jeunes, dont certains n’hésitent pas à sortir des sentiers battus pour écrire dans nos langues nationales. Je pense ici, par exemple, au travail d’un Richard Ali à Kinshasa, que je suis avec admiration. Je n’ai pas une connaissance académique de cette littérature, mais je perçois dans sa vitalité des dernières années et dans la jeunesse de ses sémillants auteurs, hommes et femmes, deux de ses forces majeures. À mes yeux, le faible nombre des maisons d’édition offrant un travail qui puisse rivaliser avec ce qui se fait de mieux sur le continent, est une faiblesse de taille. Le bassin réduit du lectorat local en est une autre, car le Congolais moyen se trouve moult excuses pour ne pas aller vers le livre. Je le dis après avoir été impressionné par la passion des Haïtiens pour la lecture, dans un pays où les gens ne sont pas particulièrement riches. Une littérature ne peut être grande sur son territoire naturel sans un lectorat qui la porte, la critique, la revendique. Il y a un chantier immense de ce côté-là.

L.C.K.: Savez-vous si vos livres sont lus dans votre pays d’origine ? Avez-vous un public cible en tête lorsque vous écrivez ?

B.N. : Mes livres sont lus en RDC, mais à une échelle qui ne me satisfait pas encore. Cela est lié à des questions de distribution qui devraient être réglées à l’avenir. Je n’ai pas de public cible lorsque j’écris. Je me lance en caressant l’espoir d’être lu par tout esprit curieux, où qu’il se trouve, dans n’importe quelle langue, pas nécessairement celle dans laquelle j’accouche du texte original. C’est, d’ailleurs, le propre du livre que de trouver son public, qui est moins prédictible qu’on pourrait le croire.

L.C.K. : Quels sont vos projets littéraires ?

Je travaille présentement à un troisième roman. J’ai également sous la main un petit objet littéraire non identifié avec lequel je m’amuse, un texte dont le genre reste à définir. Le temps dira si de ce jeu ludique sortira quelque chose de sérieux, suivant l’adage populaire que les lingalaphones de Kin connaissent bien : « Mayi ya tchai ekoki pe ko bongwana mayi ya badi » ( l’eau destinée à la préparation du thé peut devenir une eau destinée à la cuisson du fufu ).

 

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Blaise Ndala Crédit photo : Pascale Castonguay

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