Interview. Dilan J. Dilama : « Il ne faut pas que le dialogue soit la cause d’une nouvelle crise »

Lundi 17 Octobre 2016 - 18:30

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Militant pro-démocratie connu pour ses analyses pertinentes, Dilan Dilama scrute, à partir de la France où il est établi, la situation politique de son pays en proposant ce qu’il croit être des pistes de solution idoines susceptibles de résorber la crise actuelle.   

Les Dépêches de Brazzaville : Le dernier conclave du Rassemblement des forces politiques et sociales a réaffirmé la volonté de cette plate-forme de l’opposition de voir l’actuel chef de l’État rendre le tablier d’ici le 19 décembre prochain. Qu’en pensez-vous ?

Jerry Dilan Dilama: Deux options doivent être dégagées à ce sujet. Primo: d’un point de vue constitutionnel. Dans un pays où le pluralisme politique est retenu comme principe constitutionnel (art 6 de la Constitution), ceux qui sont au pouvoir doivent se préparer à passer le relais à tout moment où le peuple est appelé aux urnes. Dans un pays qui se veut moderne, le transfert du pouvoir ne peut pas être considéré comme une menace. Les élections doivent être considérées comme un moment de joie, cela témoigne de la maturité et de la grandeur d’un peuple. Vu sous l’angle des fameux articles 70 et 73 de notre Constitution, ces dispositions sont claires. Tout citoyen respectueux et respectant les règles du jeu dans la société doit s’incliner et s’éloigner de toutes polémiques qui n’auront pour conséquence que de diviser davantage la population. Il me paraît judicieux que le Rassemblement s’attache à ces dispositions constitutionnelles pour le respect des règles reprises dans notre propre Constitution.

Il est regrettable de fois de stigmatiser l’amateurisme politique de notre opposition de vouloir régler les choses à l’instant même. Ses leaders se mettent souvent ensemble très tard pour se faire forts. Secundo : d’un point de vue politique et moral. L’opposition peut se rattraper, d’après moi, sur la base de « l’article 69 ». Cette disposition n’épargne cependant pas le président de la République en tant que « symbole de l’unité nationale » face à la présente crise. Il doit aider le pays de s’en sortir s’il veut rester dans l’histoire positive de l’humanité. Toute continuité du pouvoir par lui ou par qui que ce soit sans élections après le 19 décembre 2016, au regard dudit article, ne sera que violation flagrante de la Constitution.

L.D.B : Que pensez-vous de la tenue d’un autre dialogue voulu inclusif et du remplacement éventuel du facilitateur ?

J.D.D : Excessive d’une part, je dirai Oui parce que de la même manière la majorité présidentielle pourra récuser le nouveau facilitateur. À ce moment, il y aura plus dialogue. D’autre part, non, au regard de l’attitude de M. Kodjo qui ne fait pas les choses à la manière d’un vieux sage. Il y a un préalable avant une bonne facilitation, c’est celui de commencer par le fond, c’est-à-dire de faire tout possible pour concilier les divergences entre parties. Or, c’est le contraire par rapport au travail auquel nous a gratifié le facilitateur désigné par l’Union africaine. Il ne faut pas que le dialogue soit la cause d’une nouvelle crise. Edem Kodjo est là pour régler le problème et non pour en causer d’autres.

L.D.B : Le Rassemblement prône un régime spécial pour gérer l’après 19 décembre, qu’en pensez-vous ?     

J.D.D : Je ne sais pas personnellement définir ce que c’est le régime spécial. S’il faut comprendre quelque chose là-dessus, ça sera un régime qui consistera à suspendre temporellement la Constitution. À cet effet, nous reviendrons à la formule de base, celle du partage du pouvoir. Cette formule n’accorde les avantages qu’à ceux qui veulent traîner les choses, et l’opposition va tomber dans un nouveau piège. Sans rentrer dans le secret profond de la MP, la nouvelle transition que le dialogue tend à instaurer sera un moment terrifiant sur fond des conflits institutionnels et d’intérêts. Bref, le régime spécial sera en principe un régime fantôme. L’opposition est appelée à adopter une nouvelle stratégie pour résoudre cette crise.

L.D.B : Le poste de Premier ministre est finalement octroyé  à l’opposition. Qu’en dites-vous ?

J.D.D : Le partage du pouvoir est bien l’intérêt absolu qui a fait courir les délégués au dialogue et non la question de voir comment faire sortir le pays de la crise. La question est celle de savoir maintenant si le gouvernement issu du dialogue aura le plein pouvoir, y compris celui de financer les élections. Bref, si au terme de la transition, les élections ne sont pas financées ou sont mal organisées, ce gouvernement sera responsable de la non-organisation des élections. Voilà pourquoi l’accord en gestation à la Cité de l’Union africaine devra tourner autour de l’organisation des élections et non autour du partage du pouvoir. Le président de la République a donc intérêt à rendre le tablier afin de garantir la paix et l’unité nationale. En outre, l’opposition devra proposer une autre formule que celle de la gestion commune de la transition via son fameux régime spécial.

L.D.B : La Céni propose d’organiser l’élection présidentielle en 2018. Cela est-il justifié d’après vous ?   

La Céni sait qu’elle peut organiser les élections à tout moment si le pouvoir le souhaite. Toutes les raisons qu’on évoque jusqu’ici ne sont en principe que d’ordre politique.

L.D.B : Les évènements des 19 et 20 septembre peuvent-ils être considérés comme un signe de ras-le bol de la population vis-à-vis du régime actuel ou s’agissait-il simplement d’une récupération politicienne de la part d’une opposition en mal de stratégie ?

J.D.D : Certes, l’opposition est en mal stratégiquement. Mais le pays va très mal. On a un peuple qui ne sait rien de son devenir. Avec un service public inexistant, une pauvreté criante ayant atteint un niveau record, un peuple qui n’a plus de repère et qui ne vit que parce qu’il a encore le souffle de vie, qu’y a t-il encore à espérer ? Quand le contrat social n’est pas respecté, c’est normal que le peuple retire sa confiance, malheureusement il n’est pas toujours accompagné dans ses efforts. Il se pose une question d’un vrai leadership dans ce pays. 

L.D.B : Une rencontre au sommet Kabila-Tshisekedi est-elle la recette magique susceptible de sauver la RDC du naufrage ? 

J.D.D : Le mal de notre pays est qu’on s’appuie sur les hommes plutôt que sur les institutions. La meilleure recette pour sauver la République, c’est simplement de respecter nos lois, de créer les institutions fortes et savoir les respecter.

L.D.B : Votre mot de la fin ?

J.D.D : Si l’on ne croit pas en Dieu, en revanche, on ne peut pas nier l’existence et la force de la nature. L’homme congolais doit s’efforcer à voir autrement les choses, il doit fournir tant d’efforts pour passer de l’autre coté de l’humanité. Le temps va vite, on doit aussi réfléchir vite afin d’éviter les erreurs des siècles passés. L’obsession à la richesse matérielle ou financière n’est qu’un état d’inconscience dans l’homme. L’âme vivante est celle qui prend en compte la situation des autres. Nous devons apprendre à vivre ensemble, et à partager les fruits de notre sol et de notre sous-sol avec équité et amour. L’amour aux Congolais, c’est l’amour du Congo. La haine et la violence ne régleront jamais les choses.

Propos recueillis par Alain Diasso

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Dilan Dilama

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