Interview. Els Cornelissen : « Nous avons les deux extrêmes dans nos collections »

Samedi 11 Janvier 2020 - 14:59

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Archéologiques ou ethnographiques, les collections de l’AfricaMuseum n’ont pas de secret pour l’archéologue qui y travaille depuis trente-cinq ans. En considérant ses deux bouts, le fonds archéologique va de l’acheuléen jusqu’à des collections de 2018, explique-t-elle. Dans cet entretien accordé au Courrier de Kinshasa dans l’ancienne section d’art et d’archéologie, elle revient notamment sur l’historique des fouilles réalisées en RDC en partant des plus anciennes menées à Kinshasa en 1920.

Els Cornelissen lors de l’expédition Boyekoli Ebale ya Congo en 2010 (DR)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pourriez-vous nous aider à vous présenter à nos lecteurs  ?

Els Cornelissen (E.C.) : Je suis Els Cornelissen, archéologue spécialisée en âge de la pierre tardif moyen en Afrique centrale. Au musée, je suis chef de département des sciences humaines (histoire et anthropologie culturelle), chef de service du patrimoine, responsable de la bibliothèque centrale et j’assure aussi la coordination et gestion des collections des archives.

L.C.K. : De quel patrimoine vous occupez-vous ici au Musée de Tervuren  ?

E.C. : Au service du patrimoine, je fais essentiellement de la recherche scientifique en histoire de l’art sur les collections ethnographiques et les collections archéologiques qui couvrent 300 000 ans jusqu’à assez récemment. C’est plutôt le travail que fait mon collègue Alexandre Livingstone Smith. Nous avons aussi des collections issues de l’anthropologie, de la technologie, c’est utiliser le présent pour comprendre le passé autant que l’on a recours au passé pour comprendre le présent, cela va dans les deux sens. Puisque nous travaillons essentiellement en archéologie avec la culture matérielle, cela permet aussi de comprendre comment cette culture matérielle a été faite par la société dont elle est issue. Une des matières qui est très forte en archéologie, c’est la poterie. Alexandre travaille avec des potières pour comprendre où elles vont chercher l’argile, quels sont tous les traitements qu’il subit avant de passer à la réalisation des poteries. Comment les pots sont montés, quelles techniques sont utilisées pour les décorer et les cuire puis évidemment après ce qu’on en fait : dans quelles circonstances sont–ils utilisés. Pour mieux le comprendre, nous achetons une certaine production aux artisanes parce qu’elles y ont consacré du temps, pour montrer comment elles procèdent. Ces collections sont ici, nous y travaillons en essayant de restituer les gestes que nous avons observés dans la matière pour ainsi pouvoir comprendre les poteries que nous analysons en archéologie. Mais, la plupart des objets des anciennes collections portant les numéros d’inventaire de l’Etat belge sont avant tout préhistoriques et en pierre taillée. Ils n’ont pas toujours fait l’objet de fouilles archéologiques mais sont souvent des trouvailles fortuites des gens qui les ont collectées pendant des recherches géologiques ou des activités minières ou encore juste en creusant la terre. Le fait de travailler dans la terre, c’est ce que l’archéologie a de commun avec les creuseurs. Les objets collectés sont ceux qui ont subi une action humaine. Quand on commence à tailler la pierre, l’objectif est évidemment de produire un outil. Et lors de ce processus, il y a des débris, des déchets qui sont plus difficiles à reconnaître que l’outil et ne pourront pas être collectés. Ces collections sont déjà une sélection d’une sélection. C’est ainsi que nous avons très peu de données pour les dater, d’autant plus que notre méthode de préférence de datation, le radiocarbone, date des années 1950. Cette technique était à ses débuts en ce moment-là, donc tout ce qui a été trouvé avant n’a pas pu être daté. Du reste, elle a ses limites, elle ne dépasse pas les 40 000 ans. L’on peut comparer certains objets trouvés au Katanga mais également à la Gombe, à Kinshasa, sur la base de types d’outils. Cela laisse penser qu’il y a des industries de type acheuléens qui ailleurs sont datés jusqu’à 300 000 ans, voire 1,7 million d’années mais que l’on ne peut dater au Congo. Mais, c’est en les comparants avec des sites datés en Afrique de l’Est, en Afrique du Sud et du Nord que l’on peut donner une datation approximative. Ce sont les deux extrêmes que nous avons dans nos collections. Cela va de l’acheuléen jusqu’à des collections de 2010, 2017 et 2018.Els Cornelissen et Alexandre L. Smith devant des poteries des collections de l’AfricaMuseum (Adiac)

L.C.K. : Des fouilles sont-elles organisées en RDC dans quel but  ?

E.C. : Cela fait déjà « Une longue histoire » tout comme l’exprime la salle du musée qui porte ce nom. Alexandre a été le commissaire de cette salle basée sur les collections que nous pouvons montrer. Cette histoire est évidemment partielle parce qu’elle est conditionnée par les objets que nous pouvons mettre en vitrine. Les fouilles les plus anciennes en RDC remontent à 1920 à Kinshasa même, une période avant que nous ayons à notre disposition les techniques de datation. La dépression de l’Upemba est un exemple type d’autres fouilles systématiques faites dans les années 1957-1959, qui ont été reprises dans les années 1964-1965. Et la dernière fois que quelqu’un y est allé, c’était en 1988. C’est une séquence qui remonte jusqu’au avant VIe siècle de notre ère. Elle montre une certaine continuité et une discontinuité de l’occupation ou de l’histoire de la population de cette région. Il s’agit là de deux exemples, mais récemment, il y a eu l’expédition baptisée Boyekoli Ebale ya Congo (Etude du fleuve Congo) organisée en 2010 avec l’Université de Kisangani et trois institutions belges. Cette équipe devait avant tout inventorier la diversité mais il y avait aussi de la place pour des linguistes et des archéologues. Nous voulions comprendre la dynamique des populations au sein de la forêt équatoriale mais aussi les migrations bantu qui est un phénomène auquel l’on porte beaucoup d’attention lorsqu’on travaille en Afrique centrale. En été 2019, Alexandre Livingstone et Noémie Arazi de Groundworks ont été dans un projet mené en collaboration avec les universités de Kinshasa, Lubumbashi et l’Institut des musées nationaux du Congo. Ils ont observé les traces matérielles de la présence de Tippo Tip et arabo-swahili dans l’Est du Congo, plus particulièrement dans la ville de Kasongo. Les thèmes sont assez vastes et variés avec des périodes relativement récentes. Je n’étais pas moi-même sur le terrain mais je pense aux matérialités collectées sur les rives du lac Tumba avec de nouveau cette idée d’occupation de la forêt équatoriale. Mais comment en trouver les traces et les interpréter dans une région où il y a très peu de pierres disponibles ? Où est-ce que les gens se sont procuré la matière, qu’est-ce qu’ils ont investi ? Ce sont là mes préoccupations pour l’instant.    

Els Cornelissen montrant « les vides » d’une carte archéologique au niveau de la forêt équatoriale (Adiac)L.C.K. : Quel était le nœud de cette recherche menée en forêt équatoriale ?

E.C. : Pendant très longtemps, l’on se demandait si des gens avaient vécu dans la forêt équatoriale depuis très longtemps ou si leur présence était relativement récente. Savoir jusqu’où elle remonte ? Aussi, étant donné que dans la période coloniale l’on portait plus d’attention à la préhistoire qu’à l’histoire récente, les cartes archéologiques comportaient d’énormes vides au niveau de la forêt équatoriale. C’est dans les années 1970-1980 qu’une grande équipe allemande a utilisé les rivières comme accès à la forêt équatoriale. Et c’est en prospectant dans les rivières, à travers des enquêtes dans les villages, des fouilles limitées, etc., qu’ils ont pu reconstituer une occupation des lieux qui remonte au moins jusqu’il y a 2 500 ans grâce à différents types de poteries. C’est précisément leur succès qui nous a inspiré la participation à l’expédition de 2010. De nouveau, il n’y avait rien, aucun site archéologique. Sur les lieux mêmes, en prenant la peine de remonter des rivières pas très loin que nous sommes revenus avec les mêmes résultats : une occupation qui remonte jusqu’à 2 200 ans dans notre cas, un peu plus récent de trois cents ans que les précédents. Mais il y a tellement de défis dans les régions en ce qui concerne les couvertures archéologiques car il y a tant de vides ! Ils ne s’expliquent pas par une absence d’occupation ou d’histoire mais simplement par une absence de recherches. L’on sait que si l’on y va on va faire des découvertes, mais il faut y aller !

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Els Cornelissen lors de l’expédition Boyekoli Ebale ya Congo en 2010 (DR) Photo 2 : Els Cornelissen montrant « les vides » d’une carte archéologique au niveau de la forêt équatoriale (Adiac) Photo 3 : Els Cornelissen et Alexandre L. Smith devant des poteries des collections de l’AfricaMuseum (Adiac)

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