Interview. Fatoumata Fathy Sidibé : « Les femmes ne sont pas dans la victimisation mais dans la revendication de leurs droits »

Lundi 14 Décembre 2015 - 16:45

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Députée au Parlement bruxellois, Fatoumata Fathy Sidibé se définit comme une femme plurielle. Également artiste peintre et auteure, elle milite pour la promotion des droits humains.  

Les Dépêches de Brazzaville : Vous avez participé à la deuxième édition du Forum économique de la Francophonie (FEF). Quel bilan tirez-vous de cet évènement ?

Fatoumata Sidibé : C’était un rassemblement très intéressant avec une diversité de participants venus de nombreux pays : décideurs politiques, ministres, présidents, chefs d’entreprises, acteurs économiques et jeunes entrepreneurs. Cette deuxième édition du FEF avait pour objectifs de poursuivre la réflexion initiée lors du premier forum organisé à Dakar en 2014, de trouver des pistes de solution afin de permettre à la Francophonie de devenir un véritable espace économique. J’ai constaté une bonne volonté d’exploiter ce potentiel économique qui existe. L’’accent mis sur l’éducation et la formation, la culture entrepreneuriale, l’employabilité, la régulation et harmonisation des normes juridiques et comptables, l’innovation numérique, la mise en réseau. Un autre aspect important est celui de la mobilité des femmes et des hommes, des capitaux et des innovations  afin de permettre aux entrepreneurs de se déplacer et de gagner des marchés. Pour l’instant, la Francophonie comme espace économique n’est pas assez exploitée. L’Afrique en sera un acteur important. Néanmoins, j’ai déploré la présence minime des femmes dans les panels qui avaient été déployés. Elles constituaient moins de 20% et c’étaient soit des modératrices soit des journalistes. J’étais étonnée qu’il n’y ait pas une place plus importante consacrée aux femmes et au moyen de pouvoir augmenter leur capacité d’agir, d’être autonome et de pouvoir participer pleinement à cette dimension économique. Les femmes sont le moteur de l’économie en Afrique.

LDB : Vous avez déclaré que la Francophonie économique reposera avant tout sur les jeunes et les femmes. Comment peuvent-ils en devenir de véritables acteurs ?

FS : De manière unanime, le fil rouge était les jeunes et les femmes comme enjeu majeur à valoriser.  La jeunesse constitue le berceau de tout développement. La Francophonie, c’est une langue commune, 80 États et gouvernements, 5 continents, 275 millions de locuteurs aujourd’hui et 700 millions à l’horizon de 2050 ! L’Afrique représente aujourd’hui la moitié des francophones. L’Afrique dispose d’une population très jeune avec un fort potentiel de croissance. C’est une jeunesse éduquée, combattante et ambitieuse. Mais elle a besoin d’un espace qui lui permette de se déployer. Beaucoup de jeunes de la diaspora commencent également à rentrer en Afrique. C’est une jeunesse qu’il faut accueillir et accompagner. Il faut leur permettre de développer leur créativité. Quant aux femmes, elles constituent plus de la moitié de la population africaine. Pourtant, elles sont toujours victimes de toute une série de discriminations liées à l’emploi, à l’éducation et à la formation, sans compter toutes les violences qui les empêchent de s’épanouir pleinement. Il faudrait que les femmes soient protégées au niveau des lois mais aussi en pratique, qu’elles soient présentes au niveau politique et à tous les  niveaux dans les postes de décision. Cela doit être également le cas au sein de la Francophonie.

LDB : Les femmes ne sont-elles pas trop plaintives ? Ne doivent-elles pas privilégier leurs compétences ?  

FS : Il existe plein d’hommes qui ont du pouvoir mais qui sont incompétents et on ne leur tient jamais ce genre de discours. Dans les écoles et les universités, les femmes ont les taux de réussite les plus élevés. Mais elles sont freinées à un moment ou un autre. Si les femmes étaient unies, elles seraient plus fortes. Les femmes ne se plaignent pas, mais elles revendiquent plus de visibilité et un plus grand rôle dans la société. Elles veulent être traitées comme des citoyennes à part entière. Les femmes compétentes ne manquent pas.

LDB : Justement vous dites que si les femmes étaient unies, elles seraient plus fortes. Le problème ne se pose-t-il pas au niveau des femmes elles-mêmes qui ne votent pas pour d’autres femmes pendant les élections par exemple ?

FS : Dire que les femmes ne votent pas pour les femmes est une affirmation que je ne peux pas endosser. Je dis simplement que les femmes sont divisées, fragilisées à cause notamment du système patriarcal qui assoit la domination d’un groupe d’hommes sur les femmes. Cela se traduit dans les coutumes, les traditions et  les lois. Tout cela est codifié. Les femmes votent pour celles et ceux qu’elles estiment défendre des valeurs et proposer des programmes qui rejoignent leurs préoccupations. Les femmes ne sont pas dans la victimisation mais plutôt dans la revendication de leurs droits en tant qu’êtres humains à part entière. C’est une simple question d’égalité en droits et en devoirs. Aujourd’hui, certains droits ont été acquis mais il reste encore du chemin à faire.

LDB : Comment faire évoluer les choses de manière positive en faveur de ces droits ?

FS : La première chose à faire consiste à adopter des lois, comme cela a notamment été le cas en Europe. Il faut également un accompagnement pour les femmes et leur donner la possibilité de pouvoir concilier la vie privée et professionnelle. Il faut aussi travailler sur les mentalités et c’est un travail de longue haleine. Il est aussi important de donner aux femmes la possibilité d’avoir accès à l’éducation. Malheureusement cela n’est pas encore le cas dans tous les pays. Elles doivent également avoir des promotions dans leur emploi. Il faudrait leur permettre d’occuper des postes décisionnels car cela  permettra aux d’être plus attentives à la problématique du genre.

LDB : Brazzaville va abriter la prochaine édition du Forum des femmes francophones. Quel discours pourriez-vous tenir aux femmes qui prendront part à cette manifestation ?

FS : Qu’elles doivent avoir confiance en elles et savoir oser. Les femmes ont tendance à s’auto-discriminer. Lorsque l’on propose un poste important à un homme, il n’hésite pas à le prendre. La femme aura tendance à hésiter. Les femmes doivent oser relever des défis. Cette confiance en soi est fondamentale. Je leur dirais de ne jamais renoncer, d’oser réclamer leurs droits et de savoir négocier notamment au niveau des prestations salariales liées à leur emploi ainsi qu’aux avantages qui y sont relatifs. Elles doivent également savoir prendre des risques.

LDB : Au regard de tous les éléments énumérés, la parité n’est-elle pas finalement un vœu pieu ?

FS : La parité vise à  lutter contre les disparités et à corriger  les discriminations et les injustices. La parité est aujourd’hui perçue comme dangereuse par des hommes qui n’ont pas confiance en eux et qui ont peur de perdre leurs privilèges. La parité aujourd’hui ne bénéficie pas seulement aux femmes. Les quotas concernent toutes les catégories de la société, par exemple les personnes vivant avec handicap, les orientations de genre. Elle se construit. Sans doute que cette parité profitera aux hommes demain quand ils seront minoritaires à certains postes ! C’est la parité que je défends, celle du genre et de l’être humain tout simplement. Beaucoup de choses ont été accomplies à ce sujet, même s’il reste encore du chemin à faire. La parité va bénéficier à tous car les femmes ne revendiquent jamais rien pour elles seules. Elles souhaitent une justice sociale. L’Afrique ne se développera pas aussi vite qu’elle le voudra tant qu’elle n’utilisera pas le potentiel des femmes. Il est prouvé qu’une femme qui a accès à l’éducation permet de réduire la mortalité infantile et maternelle ainsi que la pauvreté ou encore la violence faite aux femmes. L’éducation des femmes est donc fondamentale. L’accès à l’éducation pour tous est un levier incontournable pour le développement d’une société. C’est grâce à l’Afrique que la Francophonie va grandir notamment en termes de population. Et l’Afrique marche avec les pieds des femmes.

Plus d’informations sur Fatoumata Sidibé

http://www.fatoumatasidibe.com

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Fatoumata Fathy Sidibé

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