Interview. Martin Kabaluapa : « Le WWF appelle à un engagement pour un new deal pour la nature et les peuples »

Lundi 6 Juillet 2020 - 18:15

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Dans un entretien accordé à notre équipe, à l’occasion de la Journée mondiale des zoonoses célebrée chaque 6 juillet, qui coïncide, pour 2020, avec la pandémie à coronavirus reconnue par les scientifiques comme une maladie transmise de l’animal à l’homme, le directeur national du Fonds mondial pour la nature en République démocratique du Congo (WWF-RDC) a affirmé qu'une nouvelle donne pour la nature et les peuples devra permettre de mettre en place une action crédible pour stopper et inverser la perte de biodiversité, en mettant la nature sur la voie de la reprise d'ici 2030. Cela épargnerait également l'humanité d'autres pandémies comme la covid-19.

Le Courrier de Kinshasa : Martin Kabaluapa, ce 6 juillet est une journée consacrée aux zoonoses. Un rapport du WWF daté de mars dernier établit des liens entre la présente pandémie de covid)-19, la destruction de la nature et les zoonoses. Qu’en est-il exactement ? Quelles sont les relations entre covid-19, la nature et les zoonoses ?

Martin Kabaluapa : Effectivement, le rapport « Destruction de la nature et émergence de pandémies » publié par le WWF révèle le lien entre l'émergence de pandémies, comme celle que nous connaissons aujourd’hui et notre impact sur la nature. Le coronavirus SARS-CoV-2 fait partie des zoonoses - comme le virus Ebola, le HIV, le SARS, la grippe aviaire ou la grippe porcine - qui sont des maladies transmises de l’animal à l’homme. Comme l’illustre le rapport, le passage d’agents pathogènes, comme les virus, des animaux sauvages à l’homme est facilité par la destruction et la dégradation des écosystèmes (entendez forêts, milieux marins, déserts…).

La destruction des écosystèmes expose l’homme à de nouvelles formes de contact avec les microbes et avec les espèces sauvages qui les hébergent, tandis que le commerce des espèces sauvages augmente les contacts directs avec des animaux sauvages et exposent ainsi l’homme à des virus ou autres agents pathogènes dont l’animal peut être l’hôte.

LCK : Comment ces facteurs contribuent-ils justement à l’émergence des pandémies telle que celle que nous vivons actuellement qui, comme vous venez de l’expliquer, sont à l’origine des zoonoses ?

M.K : La perturbation de l’environnement naturel accentue notre vulnérabilité face à ces pandémies. Trois éléments essentiels sont à considérer ici. Il y a premièrement la perte et la dégradation des habitats. Celles-ci ont pour conséquence des contacts plus fréquents des espèces sauvages entre elles ainsi qu’avec les humains. Cette situation facilite le passage des maladies d’une espèce à l’autre et finalement vers les humains. Deuxièmement, il y a le commerce des animaux sauvages. Les animaux sont capturés dans leur habitat naturel et transportés vers des marchés où ils sont quelquefois vendus illégalement. Les marchés illégaux et non régulés de faune sauvage mettent celle-ci ainsi que les animaux domestiques en contact étroit donnant ainsi l’occasion aux microbes de passer d’une espèce à l’autre et de favoriser l’apparition de nouvelles maladies. Il y a enfin, en troisième lieu, la production de nourriture. L’expansion et l’intensification de l’agriculture est un facteur clef dans les changements d’affectation des terres qui emmène les humains et le bétail en contact étroit avec la faune sauvage et les maladies potentielles. Les méthodes d’élevage modernes sont souvent intensives avec des milliers d’individus de la même espèce. La forte proximité et le manque de diversité génétique augmentent les chances de propagation rapide des virus et leur passage vers les êtres humains.

LCK : Que peut faire maintenant l’humanité pour éviter que de telles pandémies ne se reproduisent dans l’avenir ?

M.K : Le temps est venu de prendre, au niveau mondial, des actions transformatrices pour protéger les écosystèmes naturels afin de réduire le risque de futures pandémies et de bâtir des sociétés neutres en carbone, durables et justes où la nature peut continuer de croître.

Pour protéger les populations des menaces que représentent les zoonoses, nous devons protéger le bien-être de notre planète. Il est plus important que jamais de ne pas faire marche arrière en matière de progrès environnementaux et de prévenir tout nouvel empiètement sur la nature afin de protéger notre santé et nos moyens de subsistance futurs. La crise covid-19 démontre que des changements systémiques doivent être apportés pour s’attaquer aux facteurs environnementaux qui sont à l'origine des pandémies.

LCK : Quels sont ces changements systémiques auxquels vous faites allusion ?

M.K : Bien que nous ne puissions pas toujours prévoir et prévenir ces maladies, nous pouvons agir pour soigner notre relation avec la nature et réduire le risque de futures pandémies. L’humanité devrait particulièrement s’engager à mettre fin au commerce et à la consommation illégaux, non réglementés et à haut risque d’animaux sauvages, et appliquer des pratiques hygiéniques et sûres sur les marchés et dans les restaurants. Elle doit également décider à stopper la conversion des terres, la déforestation et la fragmentation des écosystèmes naturels, tout en nourrissant durablement une population mondiale croissante ; et construire une nouvelle relation entre l’homme et la nature à travers une reprise économique durable et juste.

Le WWF appelle ainsi plus particulièrement les gouvernements du monde entier à ce qu’ils s’engagent dans un « new deal » ou une « nouvelle donne » pour la nature et les peuples afin de mettre en place une action crédible pour stopper et inverser la perte de biodiversité, en mettant la nature sur la voie de la reprise d’ici 2030, pour le bénéfice de tous les peuples et de la planète. Le prochain sommet des Nations unies sur la biodiversité, prévu initialement pour septembre 2020 mais qui se tiendra finalement en 2021, est un moment clé pour les dirigeants mondiaux pour prendre des décisions cruciales sur l’environnement, le climat et le développement. Ces décisions représentent une opportunité à ne pas manquer pour transformer notre relation avec la nature et assurer un avenir durable aux populations et à la planète.

Lucien Dianzenza

Légendes et crédits photo : 

Martin Kabaluapa, directeur national WWF-RDC

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