L'alopécie : un problème de santé publique ?

Samedi 27 Juillet 2013 - 8:45

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

Si la perte de cheveux concerne les hommes, les femmes et même les enfants, les femmes africaines s’exposent plus facilement à la maladie. Négligence ou simple méconnaissance ? Elles sont nombreuses à n’avoir jamais consulté de médecin pour la traiter. Nous avons rencontré le docteur Ida Lenga-Loumingou, dermatologue au CHU de Brazzaville, pour en savoir plus sur la maladie et la situation au Congo-Brazzaville.

Les Dépêches de Brazzaville : Docteur, qu’est ce qui provoque l’alopécie (perte de cheveux) ?

Dr Ida Lenga-Loumingou : Les causes sont soit génétiques, soit acquises. Quand elles sont génétiques, on est confronté à une maladie qui  touche le cheveu mais qui peut également toucher d’autres organes du corps. À ce moment-là, cela peut être très grave. L’alopécie, liée à des maladies génétiques, concerne notamment les enfants. Chez les hommes en général,  les causes sont moins graves, dites physiologiques ou androgénétiques. Pour ce qui est des alopécies acquises, elles sont les plus nombreuses. Les premières que l’on peut citer sont les alopécies traumatiques qui touchent particulièrement les femmes de race noire.

LDB : les femmes africaines sont donc particulièrement touchées par des problèmes d’alopécie acquises. Pourquoi ?

Dr ILL : Elles traumatisent leurs cheveux en les tirant, c’est ce qu’on appelle l’alopécie de traction. Au Congo, par exemple, chaque fois que l’on doit se faire des tresses, si elles ne sont pas serrées, la personne qui les porte ne se sent pas bien. Vous avez, par exemple, les femmes de type soudanais qui font des tresses, les « arabes », en arrière. Elles ne les tirent pas, c’est très joli et ça ne crée pas d’alopécie. Nous n’avons pas besoin de statistiques hospitalières pour nous rendre compte que la plupart des femmes ont perdu leurs cheveux au bord. La gravité de ces cas conduit à des alopécies cicatricielles : les cheveux ne poussent plus, car l’orifice qui sert à la repousse du cheveu se bouche complètement. Il y a également les irritations liées à l’utilisation de produits faits avec de la soude, les défrisants traditionnels et parfois les peignes chauds, tout cela provoque la chute des cheveux. En dehors de ces causes traumatiques, il ne faut pas oublier qu’il y a des alopécies parce qu’on étouffe les cheveux, on met des perruques, des tissages à longueur de journée, cela ne permet pas au cheveu de se développer normalement.

LDB : Des maladies infectieuses peuvent-elles être à l’origine d’alopécie ?

Dr ILL : Oui, et c’est important de le dire à la population. Les alopécies ont parfois une raison infectieuse. Ce sont toutes les infections : virales, bactérielles comme la syphilis, et puis les mycoses notamment chez les enfants, surtout chez les petits garçons. Une syphilis peut se manifester par une chute de cheveux qui va être réparée quelques semaines après. Il y a aussi les maladies endocriniennes (thyroïde…) qui peuvent fragiliser les cheveux.  Je vais également introduire la cause médicamenteuse dans la cause endocrinienne, parce que c’est un problème de santé publique, de maladies émergentes. La cortisone que l’on se met en excès empêche la repousse du poil. Enfin, il y a les pellicules qui peuvent être à la source d’alopécie, tout le monde les connaît mais on ne sait pas forcément que c’est aussi une maladie.

LDB : Comment traiter les pellicules ?

Dr ILL : ll y a en pharmacie des shampoings antipelliculaires, mais il faut être sûr que ces pellicules ne sont pas une atteinte grave. Je pense qu’à ce moment le traitement est médical, on ne peut pas le faire en automédication. Pour les pellicules de faible intensité, on peut trouver des shampoings adaptés.

LDB : La consultation d’un dermatologue est-elle abordable ?

Dr ILL : Il y a la consultation publique et il y a la consultation privée. La consultation privée du dermatologue coûte le même prix que toutes les consultations de spécialistes. Si on a un problème de neurologie, l’idéal est de consulter un neurologue. C’est pareil pour les problèmes de peau. La consultation au CHU coûte 5 000 FCFA.  Les dermatologues ont la réputation de faire des ordonnances chères. Je l’ai souvent entendu, mais je crois que ce n’est pas plus vrai que dans d’autres spécialités. Peut-être qu’il y a des moments où l’on a besoin de ces médicaments qui coûtent relativement cher, mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, il y a des patients qui ont des ordonnances de 5 000 FCFA, moins de 10 000 FCFA.

Selon une étude menée en 2010 sur 968 patients d’un dermatologue à Brazzaville, 28% d'entre eux venaient consulter pour des problèmes d’alopécie. Selon le Docteur Ida Lenga-Loumingou, nombreuses sont les femmes qui viennent consulter pour un autre motif mais qui sont atteintes d’alopécie sans s’en préoccuper. Dans les années 1970/1980, il n’y avait qu’un seul dermatologue. Aujourd’hui, il y a à Brazzaville six dermatologues. trois au CHU, un à l’hôpital de Talangai, un à la Brasserie du Congo et un à l’hôpital militaire. « En général, on dit qu’il doit y avoir un dermatologue pour 500 habitants, mais ce sont les chiffres de l’Occident, qu’on ne peut pas rapporter dans nos pays », indique le Dr Ida Lenga-Loumingou.
Tania Mahoungoud
Photo : Dr Ida Lenga-Loumingou. (© DR)