Magistrature : des ONG dénoncent le laxisme dans l’administration de la justice

Mercredi 30 Mai 2018 - 16:00

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La société civile relève des indices de la politique de deux poids, deux mesures et appelle la hiérarchie du secteur à remettre les choses dans la voie en vue de garantir « les principes d’équité et d’impartialité qui doivent fonder toute décision de justice.»

Après la décision du chef de l’État révoquant près de trois cents magistrats et toutes les conséquences qui s’en sont suivies, la magistrature congolaise fait encore parler d’elle. Un collectif d’ONG vient, en effet, relever des indices de la politique de deux poids, deux mesures, dans l’administration de la justice en République démocratique du Congo (RDC).

Dans un point de presse tenue à Kinshasa, un regroupement de six associations œuvrant dans le secteur de la défense des droits de l’homme s’est dit préoccupé par la manière dont la justice est administrée dans le pays, « en violation grave des principes d’équité et d’impartialité qui doivent fonder toute décision de justice ». Ce collectif dit avoir relevé, avec la plus grande amertume, un degré élevé de complaisance, de légèreté et de laxisme dans l’administration de la justice ainsi qu’illustrerait le contenu de plusieurs décisions rendues par les cours, tribunaux et parquets. « Plus de la moitié de décisions rendues par les magistrats ne résistent pas à une analyse juridique, à la foi sérieuse et profonde, de la part des justiciables et non justiciables et de leurs conseils », a fait remarquer ce regroupement.

Une pratique de « Ngulu » dans la magistrature

Ce collectif a dit épingler à la volée une affaire inscrite sous RMP 9854/PG/KAD.PG/Gombe, dans laquelle un magistrat ferait voyager des personnes sous les identités de ses collègues magistrats. Promettant de rendre public, dans les tout prochains jours, le tableau synoptique de l’état de justice en RDC, ces ONG, s'appuyant sur le monitoring et l’observation des différents procès dans les parquets, cours et tribunaux, ont indiqué, au hasard, le cas qui opposerait les magistrats Gayry N’silu Diakeleka et Ange Ntoto Mbikila à leur collègue Gilbert Mwamba Mwamba devant le parquet général de Kinshasa/Gombe.

Elles ont soutenu, en effet, que le magistrat Gilbert Mwamba Mwamba organiserait au sein du parquet, avec la complicité de certains membres de sa hiérarchie, l’opération dite "Ngulu", se servant de l’identité des vrais magistrats (nom, matricule, grade) pour faire voyager vers l’Europe et l’Amérique certaines personnes en leur attribuant la qualité de magistrat. « Il leur fait bénéficier des ordres de mission du Conseil supérieur de la magistrature dont certains sont réputés faux et obtient pour eux des visas en lieu et place de vrais magistrats, et se fait payer par le budget », ont admis ces ONG.

Un comportement qui frise la complaisance

Le collectif se dit choqué de constater que cette affaire, portée devant la justice de qui on attend une décision à la fois punitive et pédagogique pour décourager ce genre de comportement, aurait été traitée à la légère, frisant la complaisance et la corruption, alors que l'instruction avait retenu l’infraction de faux et usage de faux contre le délinquant. En plus de cette infraction prévue et punie par l’article 124 du Code pénal livre II de cinq ans, le collectif estime que le juge devrait également retenir à l’encontre de l’accusé, en rapport à l’article 125 du même Code, une punition allant jusqu’à dix ans de prison, étant donné que l’infraction a été commise par un fonctionnaire qui est également coupable d’usurpation des fonctions publiques, d’immigration clandestine et de détournement des deniers publics. « Notre étonnement est de constater que le magistrat Gilbert Mwamba Mwamba, qui était en état de détention, a bénéficié de la liberté provisoire alors que beaucoup d’autres magistrats ayant commis non seulement des faits moins graves mais dont pour certains les doutes persistent encore n’ont jamais été bénéficiaires de cette liberté bien que demandée », ont regretté ces organisations. Elles ont, en outre, relevé qu’aussitôt sorti de la prison, le même magistrat se serait encore illustré dans un délit : incitation des militaires et de détention d’armes et de munitions de guerre, dont le dossier serait pendant devant l’auditorat de garnison de N’djili, à Kinshasa. Malgré tout, ont-elles fait constater, ce cas n’a toujours pas convaincu le Parquet général de la Gombe pour révoquer la liberté provisoire accordée à ce magistrat.

Des victimes suppliciées

À en croire ces ONG, en dépit de ce désastre causé par ces actes, un faux dossier aurait été ouvert sous le RMP 9980/PG/KAD où une autre personne reconnaîtrait « à l’aveuglette » les faits reprochés au magistrat concerné, avec des déclarations teintées de contradictions au cours de son audition.

Citant les enquêtes réalisées sur le terrain, ce regroupement a indiqué que les victimes, c'est-à-dire les vrais magistrats dont les identités ont été utilisées contre leur gré dans cette opération de « Ngulu », seraient considérées par les ambassades comme des faussaires. « Leurs comptes bancaires sont bloqués, elles sont interdites d’accès à l’espace Schengen et sont victimes d’autres conséquences », a signifié le collectif, qui a ajouté que ces magistrats sont abandonnés à leur triste sort, sous l’indifférence de leur hiérarchie commune. « Et pour couronner le tout, la requête expresse faite depuis plus de deux semaines au Parquet général de la République tendant à demander ledit dossier en communication afin de pallier les insuffisances d’instruction est demeurée, jusqu’à ce jour, lettre morte », ont déploré les ONG qui attendent du ministre de la Justice de veiller à ce que la justice soit rendue dans le strict respect des règles d’équité et d’impartialité.

Ces organisations exhortent, par ailleurs, les magistrats appelés à dire le droit à observer scrupuleusement les principes et obligations liés à leurs devoirs. Elles ont également appelé le Conseil supérieur de la magistrature à prononcer impérativement des sanctions à l’encontre des magistrats complaisants, légers et laxistes. Pour elles,  l’affaire relevée doît être fixée devant une juridiction autre que celle de la Gombe pour raison d’impartialité. S’agissant des magistrats victimes, ces ONG attendent qu’elles soient innocentées par un procès pour que ce jugement serve de soubassement auprès des ambassades afin de « blanchir » leurs dossiers et permettre la levée de la mesure d’interdiction d’entrée dans leurs territoires respectifs, qui frappe les victimes.

Lucien Dianzenza

Légendes et crédits photo : 

Emmanuel Cole et Mertins Lopombo Munza de la FBCP, lors de la conférence de presse /photo Adiac

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