Papa Wemba : une influence sociale indéniable

Samedi 30 Avril 2016 - 17:35

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On continuera longtemps à épiloguer sur les influences multiples qu’aura exercées Papa Wemba, personnage aux talents complexes, sur la jeunesse africaine, mais aussi, sur la société congolaise qui l’a porté à bras le corps dans son cursus musical.

Celui à qui tous les jeunes à la page des années 70 tenaient s’identifier passe encore aujourd’hui, même après sa mort, pour le spécimen de la réussite, une sorte de self made man dont le parcours de vie aura été capté comme un stimulus dans le chef de nombreux jeunes. Papa Wemba symbolise le sens  de la réussite sociale pour un garçon issu d’une famille modeste et sur qui personne ne pouvait parier le moindre centime quant à son ascension sociale. De son Lubefu natal, le jeune-homme innocent qu’il était, ne pouvait s’imaginer un jour bousculer la hiérarchie sociale et se hisser au rang des célébrités. Né d’un père ancien combattant de la Force publique et d’une mère pleureuse de laquelle il hérita la passion pour la musique, le jeune Jules Shungu Wembadio était loin de savoir qu’en lui, sommeillait un talent pur sur lequel devrait se cristalliser la marque de sa destinée.

Partir de rien et réussir…  

Sa passion pour la musique grandit au fur et à mesure qu’il accompagnait sa mère dans les veillées mortuaires et s’est affirmée davantage dans les chorales chrétiennes où il prestait comme chantre. Toute une prédestination pour le jeune homme qui apprit très tôt les rudiments de l’art d’Orphée. Aussi lorsqu’il débarqua à Kinshasa, il trimballait déjà un background artistique suffisant qu’il capitalise aussitôt dès son entrée dans Zaïko Langa Langa. Il en fut un des cofondateurs en 1969. A cette époque, Jules Preslay - ainsi qu’il aimait se faire appeler - devrait se mesurer à d’autres chanteurs tout aussi talentueux à l’image de Gina Wa Gina, Evoloko, Jossart Nyoka Longo, Mavuela Somo et tant d’autres. Tout un défi pour le jeune « villageois » qui s’en tira à bon compte grâce à sa capacité d’adaptation et à son génie artistique.

Vers les années 70, il prit même une nette ascendance sur ses pairs de Zaïko en termes de vedettariat en s’affirmant comme meneur d’hommes et une vedette à part entière. Cette dimension de l’artiste qui a su s’imposer dans un milieu qu’il a appris à maitriser à force d’abnégation, force l’admiration et symbolise l’esprit de gagne qui caractérise le personnage. « Lorsqu’on voit sa brillante carrière, il symbolise le sens de la gagne, la réalisation de soi. Il avait en lui cette folle envie de vaincre. Papa Wemba est l’aîné du sexe masculin de sa famille. On l’appelle « Papa » déjà quand il est enfant. Dans certaines traditions de la RDC, l’aîné du sexe masculin assure la protection et la responsabilité de la famille élargie. Et de ce point de vue, il devrait absolument réussir pour faire la fierté de son père », explique Didier Mbuy, doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication et observateur attitré de la scène musicale congolaise.

Devenant de plus en plus gênant du fait de son envergure artistique qui allait grandissant, Papa Wemba finit par se faire éjecter par ses amis de Yoka Lokolé avec, à la manœuvre, un certain Mbuta Mashakado. C’est le déclic qui enclencha l’avènement en 1977 de Viva-la-Musica. C’est sous ce label que Jules Shungu, appuyé par des proches qui croyaient à son destin, finit par inscrire son nom au panthéon des immortels, traversant des décennies entières avec sa voix haut perchée.  Il porta la rumba congolaise à des hauteurs inimaginables en l’incrustant dans le show biz international sous le parrainage de Peter Gabriel.        

« Shégués, chance éloko pamba ».  Cette formule qu’il inocula dans l’imaginaire des jeunes désœuvrés devrait, en principe, être décrypté tel un leitmotiv censé booster et canaliser des énergies dans le sens de la réussite. La controverse née autour de cette expression que d’aucuns ont tourné en dérision jusqu’à l’assimiler à une prime à l’oisiveté serait provoquée par un déficit de communication sur le sens réel du slogan. Qu’à cela ne tienne. En outre, lorsque le chanteur récidive avec « Bien rasé, bien parfumé et bien sapé », en se positionnant comme la figure emblématique de la Société des ambianceurs et des personnes élégantes (Sape), il véhicule somme toute, une culture et un style de vie, en mettant une emphase soutenue sur la propreté et l’hygiène. Le phénomène a impacté de nombreux jeunes sur le continent jusqu’à atteindre des horizons jamais soupçonnés.

« Mikili » ou rien…  

Papa Wemba, c’est aussi cet artiste qui a fait miroiter l’Europe auprès de nombreux jeunes qui ne juraient que par Paris et Bruxelles devenus les sujets de leurs rêveries. Avec ses fringues qu’il ramenait au pays au fil des voyages, il dégageait un magnétisme tel que chaque jeune kinois des années 70-80 était obnubilé par une seule envie : voir l’Europe et mourir. Avec Papa Wemba s’est dessinée la grande ruée vers l’Europe avec, en prime, le phénomène Ngulu qui lui valut des démêlés avec la justice française. De génération en génération, il a influencé notamment celle des cadres actuels des entreprises, des parlementaires et autres jusqu’aux émules du rap et de la RNB. Un éternel jeune, dirait-on. Aujourd’hui plus qu’hier, l’influence sociale de Papa Wemba est indiscutable. Chacun de nous est quelque peu le reflet du personnage par le gestuel, la démarche, la manière d’enfiler  son pantalon ou de s’exprimer.

L’un des enseignements à tirer de l’illustre disparu  et que la postérité devrait s’en approprier, c’est qu’on peut partir de rien et réussir sa vie. L’autre, c’est qu’il faut bien faire le job pour lequel on a été destiné. Respectueux de son travail, il était toujours  disponible lorsqu’il s’agissait de répondre à une sollicitation. En témoigne, son obstination de se rendre à Abidjan au festival Femua pendant que ses proches tentaient de l’en dissuader. Son tragique décès, sur scène, loin de son pays, revêt tout un symbole. Papa Wemba est mort comme il a vécu, dans la chanson, dans l’environnement artistique qui ne l’a jamais quitté, porté par son public et drapé dans du beau costume. Une parenthèse s’est refermée certes sur une vie, mais les œuvres vont, à coup sûr,  survivre au personnage.

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Papa Wemba

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