Respect des droits des peuples autochtones : le Congo garde le statu quo

Vendredi 25 Octobre 2019 - 18:00

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

La rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, Victoria Tauli-Corpuz, a rendu public, le 24 octobre à Brazzaville, un rapport sur la situation actuelle de cette minorité dans le pays.

Victoria Tauli-Corpuz a effectué, du 14 au 24 octobre, une mission sur invitation du gouvernement congolais, afin d’évaluer les progrès accomplis dans la promotion et la protection des droits des peuples autochtones, plus particulièrement les efforts déployés au niveau national pour appliquer les recommandations du rapport de son prédécesseur, James Anaya, au terme d'une visite au Congo en 2010.

La rapporteuse spéciale de l'ONU a constaté que  depuis ce rapport de 2010 sur les droits des peuples autochtones, la situation de cette minorité n’a pas connu un grand changement en dépit d’un cadre juridique « exemplaire », a-t-elle reconnu,  adopté en 2011. « La loi n° 5-2011 sur la promotion des peuples autochtones établit une base juridique solide pour permettre aux peuples autochtones de faire valoir leurs droits, de protéger leur culture et leurs moyens de subsistance et d’accéder aux services sociaux de base et de protéger leurs droits civils et politiques », a-t-elle souligné.

En 2015, la promotion et la protection des peuples autochtones ont été reconnues par l’article 16 de la Constitution. En juillet 2019, six projets de décrets sur neuf étaient adoptés pour mettre en œuvre la loi 2011 sur les peuples autochtones, et prévoient les mesures spéciales pour faciliter leur enregistrement à l’état civil et l’accès aux services sociaux de base et à l’éducation.

Pour améliorer la qualité de vie de cette minorité, une direction générale pour la Promotion des peuples autochtones a été créée avec des antennes dans onze départements du pays. « Ces développements ont établi une architecture juridique et administrative impressionnante depuis la visite de mon prédécesseur en 2010. La plupart des préoccupations portait donc plutôt sur la rapidité, la portée et l’efficacité des mesures visant à mettre en œuvre ces dispositions juridiques pour le respect, la protection et la réalisation des droits des peuples autochtones dans la pratique », a fait savoir la rapporteuse spéciale.

Au long de son séjour dans les départements de la Sangha, de la Lékoumou, du Pool et des Plateaux, l’accès à la terre et aux ressources, aux soins de santé primaires et à l’éducation ainsi qu' à l’emploi ont été des sujets récurrents. Victoria Tauli-Corpuz a également relevé, au nombre des préoccupations, la participation limitée des peuples autochtones aux décisions publiques et l’exploitation sexuelle des jeunes femmes autochtones.

La discrimination, un frein à l’épanouissement

Sur la situation généralisée de discrimination, d’exclusion et de marginalisation des peuples autochtones de la vie sociale, économique et politique générale de la société congolaise, Victoria Tauli-Corpuz a noté : « L’observation de mon prédécesseur, selon laquelle les peuples autochtones occupent des positions non dominantes dans la société congolaise et ont souffert et continuent de souffrir de menaces contre leur identité distincte et leurs droits fondamentaux, reste certainement valable, et ce d’une manière que la majorité bantoue ne connaît pas ».

Ce que récusent la plupart des responsables gouvernementaux, affirmant qu’il n’y a pas de discrimination à l’égard des peuples autochtones et que les défis auxquels ils sont confrontés ne leur sont pas exclusifs.

« Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que la discrimination et l’exclusion des peuples autochtones n’existent pas au Congo », a soutenu la rapporteuse spéciale. Elle a cité  le projet de Plan d’action national pour l’amélioration de la qualité de vie des peuples autochtones (2019-2022) qui indique que les peuples autochtones « … souffrent encore de marginalisation et de discrimination dans tous les secteurs de la vie sociale ; leur accès aux services sociaux de base est un goulot d’étranglement, en particulier dans les zones les plus reculées, à savoir l’éducation, la santé, la culture, le sport, l’eau et l’énergie, mais aussi les terres et ressources et les droits civils et politiques ».

L’analphabétisme largement répandu

Selon les statistiques du ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’alphabétisation, les adolescents autochtones représentent 0,05% des élèves du premier cycle du secondaire et 0,008% des élève du secondaire. Les filles sont particulièrement exclues de l’éducation. « Huit ans après l’adoption de la loi n°5-2011, l’analphabétisme reste largement répandu dans les communautés autochtones, y compris dans la Sangha. Le Fnuap signale que 65% des enfants autochtones âgés de 12 à 16 ans ne vont pas à l’école, contre 39% en moyenne au niveau national », a relevé Victoria Tauli-Corpuz. « Il faut donc une meilleure scolarité pour qu’ils soient pris en compte dans les sphères de prise de décisions », a-t-elle recommandé.

« La moquerie et la discrimination à l’égard des enfants autochtones à l’école, ainsi que le manque de motivation dû à un programme scolaire qui n’est pas en rapport avec leur culture, et la discrimination systématique plus large qui donne peu de chances aux enfants de réussir dans la société, contribuent tous au décrochage scolaire », note le rapport de Victoria Tauli-Corpuz.

Pour les communautés autochtones, le manque de moyens financiers reste la principale raison de l’interruption de la fréquentation et des progrès scolaires. D’où la nécessité de mettre en place des programmes éducatifs culturellement adaptés pour encourager les peuples autochtones à poursuivre leurs études, notamment en leur donnant les moyens de faire connaître leurs droits et leurs propres connaissances traditionnelles.

Certaines organisations de la société civile et plusieurs ministres se sont inquiétés du fait que les écoles Ora sont exclusivement réservées aux enfants autochtones, ce qui pourrait favoriser, selon eux, une forme de ségrégation.

Signalons, en outre, que 99,8% des femmes autochtones accouchent à la maison ou en forêt, et 65% accouchent sans consultation prénatale préalable, selon le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap).

« Les peuples autochtones ne doivent pas être considérés comme des fardeaux ou des obstacles au développement et comme des peuples arriérés et primitifs. Ils devraient être considérés comme des êtres humains qui ont la dignité et les mêmes droits que toutes les autres personnes. De plus, ils jouent un rôle d’une grande importance dans la sauvegarde et la protection de la biodiversité et des forêts. Ils sont une référence à travers leurs connaissances traditionnelles en matière de gestion des ressources naturelles, d’atténuation du changement climatiques et de médecines naturelles et traditionnelles, et ils améliorent la diversité culturelle et linguistique de nos pays », conclut le rapport.

Josiane Mambou Loukoula

Légendes et crédits photo : 

Victoria Tauli-Corpuz

Notification: 

Non