Thierry Moungalla : « C’est au peuple congolais d’en juger et de dire : on continue ou ça suffit ! »

Jeudi 15 Octobre 2015 - 20:00

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En mission de travail à Paris, en France, le ministre de la Communication et des médias, porte-parole du gouvernement, a répondu hier matin aux questions de Christophe Boisbouvier de RFI. Le référendum et le changement de la Constitution ont été au cœur de cette interview que nous transcrivons en intégralité. 

RFI : Pourquoi voulez-vous changer la constitution de votre pays ?

Thierry Moungalla : C’est le peuple qui, lors des différentes phases du débat qui a eu lieu depuis 18 mois dans notre pays, dans le cadre de ce débat, a abouti à deux positions antagonistes. Une partie de la population souhaitait l’évolution des institutions et une autre souhaitait le statu quo.

Alors pour l’opposition, il n’y a aucun doute que ce référendum constitutionnel vise à permettre au président sortant de se représenter l’an prochain et elle dit, dans un jeu de mots, avec le nom du chef de l’État : « 30 ans ça Souffit » ?

TM. : Je dirais aujourd’hui, ce n’est pas « 30 ans ça Souffit ». Nous avons un projet de constitution qui est celui du XXIe siècle. La personnalisation à outrance du débat est une mauvaise chose. Nous sommes à neuf mois des échéances présidentielles et j’attends de l’opposition qu’elle soumette au peuple congolais un projet de société plutôt que de diaboliser le chef de l’État actuel.

Mais quand on cumule 30 ans au pouvoir comme le président Sassou, n’est-il pas temps de laisser la place à quelqu’un d’autre ?

TM : C’est au peuple congolais d’en juger et de dire : on continue ou ça suffit.

Au mois de juillet dernier, vous avez organisé à Sibiti, un dialogue national pour montrer que ce projet de changement de constitution faisait l’objet d’un consensus. Mais le 27 septembre dernier, l’opposition a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes dans les rues de Brazzaville. Est-ce que ce n’est pas le signe qu’il n’y a pas de consensus ?

T.M. : D’abord l’opposition a rassemblé et c’est son propre chiffre à elle, autour de 30 000. Alors 30 000 personnes sur 1,2 million d’habitants que compte Brazzaville, ce n’est quand même pas un triomphe absolu. Donc, la question aujourd’hui, c’est non pas leur capacité à mobiliser leurs partisans, c’est tout à fait légitime et logique. Mais la question est " y-a-t-il eu consensus ?" Non, il n’y a pas eu consensus puisqu’il y a eu cette tendance, même minoritaire qui n’est pas d’accord avec l’évolution des institutions. Dans ce cas-là, le juge de paix, c’est le peuple. Voilà pourquoi le président de la République a décidé de saisir le peuple par la voix du référendum.

Au vu des deux manifestations du 27 septembre et du 10 octobre, la première contre, la seconde pour, est-ce que vous n’êtes pas en train de créer un fossé dans votre pays ?

T.M. :  Je dirais pour comparer les deux meetings que si je concède à l’opposition qu’elle a organisé un méga meeting, la majorité présidentielle et ses alliés ont organisé, samedi dernier, un "giga meeting". Aujourd’hui, nous pouvons considérer que l’opposition mobilise ses partisans mais le meilleur moyen de déterminer qui est majoritaire et qui est minoritaire, c’est d’aller au vote.

Si vous persistez dans votre projet, l’opposition appelle à la désobéissance civile. Est-ce que vous ne craignez pas que la rue s’embrase ?

T.M. : J’appelle ceux qui parlent de désobéissance civile, ce qui est tout à fait leur droit, à faire cette désobéissance civile dans le cadre du respect de la loi et des principes et des valeurs de paix.

Thierry Moungalla, votre projet rencontre une forte austérité à Brazzaville mais aussi à l’étranger. Témoin : la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme) qui vous accuse de préparer un coup d’État constitutionnel destiné uniquement à permettre au président Sassou de se maintenir en place ?

T.M. : J’aurai aimé que la FIDH s’occupe des innovations intervenues dans la constitution. Par exemple : l’abolition de la peine de mort qui est constitutionalisée dans le projet plutôt que de faire de la politique politicienne. J’ai rarement vu des coups d’État qui passaient par la consultation du peuple.

Du côté des grandes puissances, les États-Unis disent que votre projet les inquiète et que les dirigeants qui modifient la constitution de leur pays à des fins personnelles ou politiques ne contribuent pas à servir la cause de la démocratie ?

T.M. : Savoir si nous ne devons pas consulter notre peuple, ça regarde le peuple congolais et ça regarde l’État congolais. Le reste, ce que nos amis de la côte internationale devraient plutôt regarder, ce sont les conditions de transparence du scrutin.

Côté français, lors de sa rencontre avec le président Denis Sassou-Nguesso à l’Elysée en juillet dernier, François Hollande a dit que toute réforme devait se faire par consensus et, vous le reconnaissez vous-même, il n’y a pas de consensus ?

T.M. : À partir du moment où il n’y a pas de positions antagonistes qui se sont clairement exprimées, il y a deux solutions. La première serait de ne rien faire et à ce moment-là, on ne résout aucun problème. La deuxième est de demander son arbitrage au peuple, il n’y a pas plus démocratique que cela.

Donc le fossé se creuse entre Paris et Brazzaville ?

T.M. : Non du tout, j’ai trouvé que la réaction du quai d’Orsay depuis l’annonce du principe du référendum par le président, le 22 septembre, était tout à fait équilibrée. Le quai d’Orsay exprimait la préoccupation du gouvernement français sur la réalisation, comme j’ai dit tout à l’heure, d’une élection transparente.

Mais le patron du quai d’Orsay, c’est François Hollande.

T.M. : « J’entends bien ».

Et François Hollande dit : « si il y a réforme au Congo Brazzaville, il doit y avoir consensus ». Ce qui n’est pas le cas ?

T.M. : Le président Hollande s’exprime par divers canaux. Le quai d’Orsay s’est exprimé. J’ose espérer qu’il s’agit bien de la position du gouvernement français.

Donc, vous vous étonnez des divergences de paroles entre l’Élysée et le quai d’Orsay. C’est ça ?

T.M. : Du tout, j’exprime l’idée que quand le quai d’Orsay émet un communiqué, il s’agit bien de la position officielle du gouvernement français.

Est-ce que le Congo ne contrevient pas à la charte africaine de la démocratie et des élections et de la gouvernance qui qualifie de "changement anticonstitutionnel" toute révision qui porte atteinte au principe de l’alternance ?

T.M. : L’alternance, c’est la possibilité de voir deux équipes s’interchanger, l’une devenant l’opposition et l’autre la majorité. Donc, deux équipes prêtes à gouverner. Si un président d’opposition est élu dans le cadre constitutionnel actuel, il n’y aurait pas d’alternance parce qu’il serait élu. Il ne pourra pas gouverner. Il sera obligé d’attendre une année pour disposer éventuellement d’une majorité parlementaire.

Parce que la présidentielle et les législatives ne se tiennent pas en même temps ?

T.M. : Absolument. 2016 la présidentielle, 2017 les législatives. C’est cette constitution en gestation. Parce que nous avons comme élément de souplesse, la création ou le retour de la fonction de Premier ministre qui va favoriser l’alternance à terme.

Quand Abdoulaye Bathily, le représentant spécial des Nations Unies en Afrique centrale, dit que les chefs d’État de la sous-région, et notamment Denis Sassou-Nguesso, devraient être plus attentifs à la demande d’alternance exprimée par la jeunesse africaine, qu’est-ce que vous lui répondez ?

T.M. : Évitons d’uniformiser les situations politiques et de considérer qu’il y a « la jeunesse africaine », « les pays africains » comme s'il s’agissait d’unités indistinctes, informes à partir desquelles il n’y a pas de réalité différente sur le plan politique et culturel.

  

Quentin Loubou

Légendes et crédits photo : 

le ministre Thierry Moungalla

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