La JMNR ou le temps de la terreur

Jeudi 12 Septembre 2019 - 21:09

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

La date du 8 février 1964 est définitivement restée dans les annales de notre histoire. Hôtel du 8-février, collège du 8-février, avenue du 8-février, etc., la mémoire de cette journée ne fait pas défaut dans nos villes. Sous les régimes issus de l’insurrection du 15 août 1963, le 8 février était célébré comme journée de la prise de conscience de la jeunesse congolaise. Dans les faits, cette journée avait été le théâtre du sauvetage du régime révolutionnaire du président Alphonse Massamba-Débat. Armés de gourdins, de barres de fer,  des jeunes gens venus de Poto-Poto, Moungali et Ouenzé, associés à ceux de Bacongo, avaient mis en déroute les partisans de Fulbert Youlou qui marchaient sur le Palais présidentiel.

Le régime sauvé, les jeunes gens furent proclamés "conscience de la nation et creuset de la Révolution". Quand en juillet 1964, le Mouvement national de la révolution (MNR) fut créé comme unique instance politique du pays, les membres du groupe des briseurs de la marche des Youlistes formèrent naturellement le bloc appelé Jeunesse du mouvement national de la révolution (JMNR). Récupérés dès le 8 février 1964, les jeunes alliés du régime furent placés sous la houlette du Haut- Commissariat à la Jeunesse dirigé par André Hombessa. Gardiens de la révolution, on leur donna des missions de police étendues y compris celle de mettre le nez dans les affaires domestiques des citoyens. Dans leur composition sociale, la majorité de ces vigiles était des lumpenprolétariats sans la moindre instruction. Le boulot de gardien de la révolution qu’ils faisaient était un gagne-pain en même temps qu’il leur offrait une revalorisation sociale. Cette révolution était de ce fait la leur.

En 1964, Moïse Tshombé était maître à Kinshasa, les partisans de Lumumba, Gaston Soumialot, Christian Gbenye et Pierre Mulélé étaient dans le maquis. Les révolutionnaires de Brazzaville soutenaient le camp progressiste incarné par le héros africain, Patrice Lumumba. La tension entre les capitales des deux Congo était à son paroxysme. Pour couronner ce tableau, Tshombé expulsa tous les Congolais de la rive droite tout en menaçant d’envahir le pays.

Soumis à la pression interne (les contre-révolutionnaires de Youlou) et, externe (la menace d’invasion de Tshombé), les dirigeants de Brazzaville évoquant l’idée d’une citadelle assiégée donnèrent carte blanche aux gardiens de la révolution, les membres de la JMNR, de sévir.

Contrairement à l’expérience des Révolutions française et russe, au Congo, la terreur déclenchée à l’endroit des contre-révolutionnaires n’avait été légalisée par aucun organe. Ni Comité de salut public (révolution française), ni Commission extraordinaire, Tcherezvoutchaini komitiet, le fameux Tch.K (révolution russe). Inutile d’ajouter qu’aucun accusateur public comme le sinistre Andreï Vychinski ne documentait les crimes contre-révolutionnaires et leurs auteurs. On arrêtait les gens de jour et de nuit qui disparaissaient sans laisser de trace. Les conditions de la terreur étaient ainsi créées.

Si les révolutionnaires se réclamaient des idéaux d’août 1963 consolidés par le congrès socialisant de juillet 1964, les suspects contre-révolutionnaires, eux, n’avaient de repère que l’étiquette infâmant qui les condamnaient. A ce jeu manichéen des bons et des méchants, les partisans du pouvoir et leurs gardiens JMNR avaient le champ libre en termes de règlement de compte personnel. En effet, les politiciens avaient des rivaux et les gens venus du  sous-prolétariat avaient des petits comptes à régler au quartier.

Dans ce dernier cas, les voisins étaient interpellés pour n’importe quel motif : contrôle de la carte d’identité au seuil de l’habitation, dispute domestique entre époux, rentrée tardive, adultère, visite tardive d’un débit de boisson, etc.

Roués de coups et torturés à la section, siège local de la JMNR, les  gens raflés dépendaient exclusivement pour leur survie  de la bienveillance de ceux qui les avaient arrêtés. Gare à vous si des problèmes personnels vous opposaient à l’un des éléments JMNR !

Les politiciens faisaient torturer leurs censeurs ou les faisaient disparaître. L’enlèvement et l’assassinat dans la nuit du 14 au 15 février 1965 de Joseph Pouabou, président de la Cour suprême, de Lazare Matsocota, procureur général près cette cour et d’Anselme Massouèmé, directeur de l’Agence congolaise d’information, mirent à nu la dérive sanguinaire du régime. Combien de hauts fonctionnaires périrent durant cette époque ? Personne ne le sait. Néanmoins, Jacques Okoko avait estimé leur nombre à cinquante-deux victimes au cours de son réquisitoire de 1978. La prison de Makala à Mantsimou, quartier de l’arrondissement de Madibou au sud de Brazzaville, est restée dans la mémoire collective comme lieu de torture et abattoir du régime. A force de donner des citoyens en pâture à des chiens, le régime finit par être discrédité. Il tomba un jour du 1er août 1968 sous les coups conjugués des militaires et de ses propres vigiles qui voulaient racheter leur honorabilité sociale en portant le treillis de l’Armée.

 

 

François-Ikkiya Onday-Akiéra

Notification: 

Non