Evocation : le dernier baroud du lieutenant Pierre Kinganga alias Sirocco (suite et fin)

Jeudi 17 Octobre 2019 - 21:15

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Sur le plan militaire, l’affaire très mal ficelée ne reposait pas sur des agrégats classiques inhérents à ce type de situation. Aucune caserne ne lui était acquise. Il avait ramené de Kinshasa un commando d’environ trente individus portant des bérets rouges écarlates qui se distinguaient de ceux portés à la caserne de Maya-Maya.  Ce commando était positionné comme tête de pont de la manœuvre et devait être appuyé par les gendarmes du camp de Bifouiti qu’il fallait encore convaincre du bien-fondé de l’opération ! Au poste de commandement, le capitaine Augustin Poignet, qui avait déjoué le coup de Jacques Debreton, était maintenant à ses côtés, secondé par un gendarme, le capitaine Miawama. Augustin Poignet, chef de l’Etat du 3 au 4 août 1968 pendant la fuite à Nkolo du président Alphonse Massamba-Débat, était celui qui allait ramasser les dividendes si le coup avait réussi. Taraudé par la peur, il fut de bout en bout une énigme et prendra rapidement la fuite au bruit des bottes des fantassins du lieutenant Ange Diawara. Le camp de la Milice, où résidaient Miawama et autres complices, faisait office d’état-major du complot. C’est là qu’on décida d’un plan opérationnel. Il s’agissait, dans la nuit, de liquider le chef de l’Etat, le président Marien Ngouabi et, le matin, de proclamer l’avènement d’un nouveau régime à la Radio nationale, épicentre stratégique de toute l’opération. La prise de ce média équivalait à une victoire psychologique et émotionnelle sur les Rouges qui paniqueraient et détaleraient.

A 1 h du matin dans la nuit du 23 mars, l’adjudant-chef  Koutou et le chef de poste adjoint de la garde du président ne purent passer à l’acte qui devait lancer l’insurrection. La patrouille autour du Palais les dissuada de toute aventure contre le président de la République. Après avoir vainement attendu la bonne nouvelle que rapporterait Koutou, le lieutenant Kinganga rejoignit ses commandos positionnés face à la Radio nationale, au stade Marchand, tandis que le capitaine Poignet alla donner l’ordre aux gendarmes de porter le képi et de se tenir prêts au combat contre les communistes. Mais, il ne convainquit pas grand monde. Quand il se présenta sans troupe au stade Marchand, le lieutenant Kinganga éclata de colère et décida d’abandonner l’affaire. Il s’apprêtait à traverser et, c’est au bord du fleuve que Poignet et Miawama le supplièrent de rester et de passer à l’action. Pour eux, la prise de la radio et la diffusion d’une déclaration devaient suffire à mettre les communistes en fuite, provoquer le soulèvement de la population et le ralliement de l’Armée. Ils ramenèrent Kinganga au stade Marchand où il harangua ses mercenaires désorientés par la tournure que semblaient prendre les évènements.

Le 23 mars 1970, à l’heure H, à 5h30, le lieutenant Pierre Kinganga alias Sirocco passait à l’action. Au micro de la Radio nationale, voix tonnante, martiale, chants militaires, il annonçait l’arrestation du président Marien Ngouabi, la fin de son régime et le retour à la situation d’avant le 15 août 1963. Ce fut un coup de tonnerre dans la ville et dans le pays, où l’unique média radiophonique, la Radio nationale, avait l’exclusivité sur tout le territoire. Au saut du lit, personne ne comprenait ce qui se passait.

Rassuré par l’apparente quiétude des alentours, Kinganga quitta la Radio et courut haranguer des badauds au marché Total, puis revint entouré de badauds à la Radio donnant l’impression d’un soutien populaire. Ce fut aussi sa dernière bravade. La voix disparut brusquement de l’ephyre vers 6h45 pour ne plus jamais réapparaître. Le lieutenant Ange Diawara et ses fantassins donnaient déjà la réplique. Rameutés d’urgence par le capitaine Sassou N'Guesso, les bérets rouges n’allaient pas tarder.

Le para commando qu’était Sirocco réussit à s’extirper de l’immeuble de la radio, les bataillons rouges qu’il avait défiés à ses trousses. Il expira dans la zone du marché Total. Ses deux compères, les capitaines Poignet et Miawama, avaient décampé dès l’apparition du lieutenant Diawara. Le capitaine Miawama revint un moment à la maison puis tenta sans succès de se dérober dans un trou à Makélékélé. Mieux inspiré en cas de repli, le capitaine Poignet tira son épingle du jeu. Sa traversée du fleuve fut toutefois assombrie par des allégations d’assassinat du piroguier qui l’avait aidé à atteindre la rive gauche du fleuve Congo. Méfait qu’il a toujours nié y compris devant la Conférence nationale souveraine.

Dans l’après-midi du 23 mars, la dépouille de l’homme pressé fut montrée au public à la place de la mairie, au cours d’un meeting survolté. Il était vêtu d’une culotte noire, le torse nu. On avait mis à sa bouche une coupure de la monnaie américaine, le dollar, pour signifier qu’il était un vendu, un chien couchant, un laquais, un valet local de l’impérialisme aux abois. Le pouvoir rouge proclama le Congo-Brazzaville tombeau de l’impérialisme et se radicalisa de plus bel.

Plus tard, au camp des parachutistes, un soldat qu’il avait commandé quand il était dans l’Armée raconta que « le dernier combat du lieutenant Kinganga alias Sirocco s’était résumé à un planting de voyeurs à la Radio nationale, une parade au milieu des badauds entre le marché Total et la Radio et à un exercice de tir avec des cibles mobiles entre la Radio et le marché Total sur le même trajet. »

 

 

François-Ikkiya Onday-Akiéra

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