Interview. Barly Baruti : « La rumba ne se résume pas seulement à la danse, c'est une manière d'être »

Vendredi 15 Novembre 2019 - 11:45

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Finalisée en quatre mois, dont deux de réalisation à l’AfricaMuseum même, la contribution du dessinateur à la rénovation du Musée, comme il le dit, est l’un des espaces dont les visiteurs ne peuvent faire l’impasse. Les illustrations et, plus encore, l’écran géant juste en face assorti à la piste de danse, sont une invitation à esquisser quelques pas en imitation à ceux du couple des vidéo proposées comme une découverte ou redécouverte des tubes d’époque et contemporains de la rumba.

Vue panoramique des pionniers de la rumba Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Comment en êtes-vous arrivé à illustrer cet espace dédié à la rumba dans le Musée rénové ?

Barly Baruti (B.B.) : Le Musée ne voulait pas l’illustrer avec des photos, mais plutôt avec de la bande dessinée. En fait, au-delà de la simple illustration, le Musée voulait un message, une émotion qui accompagne les images. Je me suis mis au travail en commençant par les pionniers de la rumba. Au début, c’était en noir et blanc, puis j’ai évolué petit à petit vers la couleur. Il fallait ensuite que j’arrive à exprimer ce que représentait pour moi la rumba, quelle émotion naissait du fait d’être classifié rumba. Car la rumba ne se résume pas seulement à la danse ou à la musique, c’est bien au-delà de tout cela. C’est une manière d’être, un mode de vie : l’on peut manger, boire, s’amuser, s’habiller, réfléchir rumba, etc. L’on peut adopter la rumba attitude. Je le prouve dans tout ce que je fais, que ce soit dans Rumba Maliba, mon projet pilote autour de la rumba où j’ai essayé de démontrer à quel point la rumba raconte même l’histoire du Congo.

L.C.K. : Les pionniers de la rumba se limiteraient à la sélection proposée ici ?

B.B. : L’on ne pouvait pas prendre tout le monde, nous avons sélectionné les célèbres mais aussi les plus anciens à l’instar d’Adou Elenga avec son fameux tube Ata ndele qui en son temps avait mis tout le monde d’accord. J’ai choisi aussi Paul Kamba, j’ai évidemment pris Wendo Kalosoy, c’était important de le faire. Mais il y a également des grands comme Léon Bukassa et Camille Feruzi avec son accordéon que l’on connaît un peu moins aujourd’hui. Wendo s’était inspiré d’Henri Bowane pour la guitare. Ce sont des choses qui ne se savent pas toujours, ne sont pas mises à la disposition de tout le monde. L’on ne s’est pas arrêté uniquement aux musiciens, nous avons aussi travaillé sur les époques. Il y a, par exemple, la première dame animatrice à la Radio du Congo belge pour les Africains, c’était important d’y revenir. Tout comme aussi montrer les accoutrements de l’époque avec les mouvements des Bills, etc. Nous avons parcouru toutes ces années-là jusqu’à arriver à l’indépendance. C’est important de le mentionner, en même temps que l’indépendance sont arrivés les Tepazz, ces tourne-disques apportés par les Grecs. L’on a alors commencé à parler de Grand Kallé, Luambo, Lucie Eyenga, Tabu Ley et Roitelet. Au niveau des guitares, j’ai essayé d’épingler quelques personnages comme Guvano Mwana Vangu, Dr Nico, Lutumba et Les Bantous de la Capitale. Il fallait faire un choix car c’était difficile d’avoir tout le monde. Mon regret c’est de n’avoir pas pris un chanteur très connu comme Jeannot Bombenga, surtout qu’il est encore vivant ! Dans la suite ici, il y a Papa Noël qui était parmi les premiers guitaristes solo. Mais il y a également Le Bagata Faugus Izeidi, Dizzy Mandjeku, Manuaku Waku et puis, bien sûr, l’époque Zaïko avec Nyoka Longo et Papa Wemba, mais aussi des personnages comme Matolu. Puis, il y a les femmes représentées par Abeti Masikini, M’Pongo Love et Mbilia bel. Le Clan Wenge est présent, le chanteur Kanda Bongo Man et évidemment des phénomènes comme Emeneya Kester, Koffi Olomide, et je me suis arrêté à Fally Ipupa. C’est vrai qu’il y en a beaucoup d’autres maintenant, mais j’ai essayé d’épingler dans l’ensemble des artistes assez représentatifs de différentes époques. Voilà donc ma contribution à la rénovation du musée.Barly Baruti au milieu de quelques ténors, guitaristes et chanteurs, de la rumba congolaise

L.C.K. : Dans la différence avec les époques, vous l’avez illustré, les chanteurs sont désormais les seules vedettes alors qu’autrefois, les instrumentistes l’étaient tout autant…

B.B. : Oui, des fois lorsque les gens posent leur regard dans un lieu, ils ne voient qu’une partie de ce qui s’offre à leur vue. C’est vrai dans un concert, ce sont les chanteurs et les danseurs qui sont mis en avant et l’on ne porte pas attention à ceux qui sont à l’arrière. Aujourd’hui en plus, il y a ce grand problème lié à l’être et au paraître. Mais il faut aussi avouer qu’au temps des pionniers, tout était bien calibré dans la musique. Celui qui jouait de la guitare faisait en sorte de laisser aussi au saxo, à la guitare solo, un temps d’intervention ; à la guitare d’accompagnement de se frayer une place, se faire entendre. Il existait cette espèce de franche collaboration alors que maintenant, si cela ne se vérifie pas pour tout le monde, c’est vrai que dans la plupart des cas, chacun veut d’abord et surtout se faire prévaloir lui-même. L’on oublie que c’est l’harmonie créée en offrant à tout le monde une place qui produit la bonne musique. Cette coordination de plusieurs éléments fait qu’en fin de compte le résultat soit agréable à l’oreille. Pour obtenir de la bonne musique, l’on a besoin de tout le monde, que chacun y mette du sien à sa manière.

L.C.K. : En comparant la rumba d’hier à celle d’aujourd’hui, de quoi êtes-vous nostalgique ?

B.B. : Je ne suis nostalgique de rien. Je crois qu’il y une évolution perceptible de la musique congolaise, elle évolue très bien. C’est au niveau des mentalités qu’il faut revoir les choses. Pour ce qui est de l’évolution, je me réjouis de certaines belles choses comme le Petit Wendo qui est une sorte de réincarnation de Wendo Kalosoy et d’autres artistes qui nous rappellent Papa Wemba, etc. De ce côté-là, les choses se régénèrent, il n’y a pas à redire. L’on devrait plutôt travailler sur les mentalités, être plus axés sur de vrais messages. Je ne parle pas que de textes moralisants, pas seulement cela. Il faut aussi le considérer au niveau des émotions que l’on veut transmettre, c’est très important d’y veiller. L’on ne devrait pas jouer de la musique sans s’adresser à l’âme de ses auditeurs. Je suis loin d’être un donneur de leçons, je fais plutôt un constat et formule des vœux, d’ardents souhaits pour que notre musique aille toujours de l’avant.

Trois grandes figures féminines marquantes de la rumba congolaiseL.C.K. : Les femmes, il n’y en a pas eu beaucoup dans la rumba et elles ont souvent été à l’ombre de leurs mentors. Est-ce pire pour celles d’aujourd’hui au point de ne pas en reprendre une seule ici  ?

B.B. : Je ne pense pas que ce soit vrai car j’ai quand même parlé de Lucie Eyenga, Abeti, M’pongo Love et Mbilia Bel, ce n’est déjà pas mal. Mais quelqu’un de mythique dans le milieu des femmes congolaises qui chantent aujourd’hui, c’est difficile d’en trouver. Dans cette petite salle, ce n’était pas possible de reprendre tout le monde. Mais, à mon avis, je crois que c’est assez représentatif. Mais en même temps, au niveau des vedettes au Congo, l’on ne peut pas prétendre qu’il y a une représentation égale des hommes et des femmes. L’on aimerait montrer autant de femmes qu’il y a des hommes mais il faudrait pour cela que ce soit aussi proportionnellement possible. Ce n’est pas le cas pour l’instant, car s’il faut citer des vedettes féminines d’aujourd’hui bien en place, célèbres, c’est plutôt difficile. Elles ne sont pas aussi mythiques que M’Pongo Love ou Mbilia Bel, par exemple, qui ont marqué par leur particularité. Aujourd’hui, il n’y en a pas d’emblée qui se démarquent, se détachent du lot. Elles doivent encore faire leurs preuves pour laisser des traces indélébiles.

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Vue panoramique des pionniers de la rumba Photo 2 : Barly Baruti au milieu de quelques ténors, guitaristes et chanteurs, de la rumba congolaise Photo 3 : Trois grandes figures féminines marquantes de la rumba congolaise

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