Interview. Esther Musube Onema : « Être une femme et noire dans le domaine des nouvelles technologies peut être extrêmement difficile parfois »

Vendredi 6 Décembre 2019 - 12:45

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La responsable nationale de la communication de la société des ingénieurs noirs aux Etats-Unis, 22 ans, termine actuellement son dernier semestre de maîtrise en sciences informatiques à l'université centrale de la Floride. Originaire de la République démocratique du Congo (RDC), elle va intégrer, à la fin de ses études, Facebook comme ingénieur logiciel. Elle vient également de remporter le concours du meilleur projet de son université grâce à l'application mobile qu'elle a développée. Entretien.

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pourquoi avoir choisi d'effectuer des études d'ingénieur ?

Esther Musube Onema (E.M.O.) : Mon père a une maîtrise en sciences informatiques et programme depuis la fin des années 1980. Je suppose que ma fascination pour la technologie vient vraiment de lui. Je me souviens de mon enfance, assise dans son bureau avec lui, les jours où il travaillait à la maison. Cette fascination a grandi lorsque, pour mon troisième anniversaire de naissance, j’ai demandé un ordinateur à mes parents qui m'en ont offert ! Bien sûr, ce n'était pas un ordinateur réel, il m'a juste appris à comprendre les formes, les chiffres, etc. Mais le fait qu’ils m’aient écouté et acheté un ordinateur a contribué à renforcer mon intérêt pour poursuivre une carrière dans la technologie. En grandissant, j'ai commencé à me familiariser avec d'autres aspects de la technologie (matériel, piratage, etc.). Il était donc logique pour moi de poursuivre des études universitaires en sciences informatiques.

L.C.K.: Vous avez été recrutée chez Facebook comme ingénieure. Comment cela s'est-il déroulé ?

E.M.O. : Ironiquement, mon intention n’a jamais été de travailler directement pour Facebook. En deuxième année de l’université, je rêvais de travailler plutôt pour Google. Un jour, une amie et moi avons raté des cours pour postuler auprès de sociétés de technologie. Nous avons postulé auprès de toutes les quatre grandes compagnies (Google, Facebook, Amazon et Microsoft) et d’autres entreprises sur leur site Web. Seulement deux entreprises nous ont répondu : Google a été le premier à me contacter. J'étais très nerveuse car, à l'époque, c’était ma première interview rigoureuse sur le plan de la programmation. J’avais étudié très dur pour cette interview, malheureusement je n'avais pas passé le premier tour.

Quelques semaines plus tard, pendant que j’étais en train de conduire vers chez moi, j’ai reçu un courrier électronique. C’était un recruteur de Facebook qui m’avait informée qu’il avait examiné mon CV et était impressionné par mes compétences. Il voulait planifier une entrevue avec moi pour le rôle d'ingénieur logiciel interne. J'ai accepté la demande et programmé mon entrevue pour qu'elle se déroule le plus rapidement possible. Elle a eu lieu deux jours plus tard. Pour me préparer à cet entretien, j'ai fait exactement le contraire de ce que j'avais fait pour préparer celui avec Google. J'ai à peine fait une étude rigoureuse des concepts de programmation et j'ai décidé de passer l'interview avec la mentalité suivante : « Quoi qu'il arrive, si je ne suis pas embauchée, ce ne sera pas la fin du monde ».

La manière dont Facebook conduit ses entretiens avec les candidats (qui vivent loin de leur siège) est la suivante : un ingénieur de Facebook vous appelle via une conversation téléphonique / vidéo, il vous sera demandé de coder vos réponses à plusieurs questions de programmation posées dans un document partagé et, en fonction du résultat, l’ingénieur déterminera si vous avez démontré les compétences nécessaires pour passer à l’étape de l’entretien suivant (qui est le même processus).

Le lendemain de mon entretien, Facebook m'a envoyé un autre courrier électronique pour m'informer que je suis qualifiée pour l'entretien suivant. Alors, comment je me suis préparée pour ce tour ? J'ai fait la même chose, je me suis mis peu de pression et j'ai codifié clairement chaque problème et au mieux de mes capacités. Une semaine exactement avant Noël, Facebook m'a recontactée pour me faire une offre afin de faire partie de leur compagnie comme ingénieure stagiaire pour l'été 2018. Je pense que c’est le plus beau cadeau que je n'ai jamais reçu et je tiens à remercier personnellement Facebook pour m'avoir donné l’occasion que la plupart des entreprises ne m’avaient pas offerte à ce moment-là.

L.C.K. : Et en quoi va consister votre travail ?

E.M.O. : Mes responsabilités officielles n’ont pas encore été déterminées pour mon poste à temps plein. Au cours du premier mois d'un ingénieur dans l'entreprise, il doit suivre un processus appelé "bootcamp". Pendant le bootcamp, vous n’avez aucune responsabilité officielle au sein de la société. Vous utilisez votre temps pour vous familiariser avec les produits et les bases de code des autres équipes, de sorte qu’à la fin, vous puissiez choisir l’équipe que vous souhaitez rejoindre au sein de la société. Bien que mes responsabilités à temps plein restent à déterminer, je peux parler du travail que j'ai accompli au cours de mes deux derniers stages avec Facebook.

Lors de mon premier été, j'ai travaillé au siège social de Facebook à Menlo Park, en Californie, au sein de l'équipe des événements en tant que développeur iOS (iPhone). Mon travail avec cette équipe spécifique consistait à créer une fonctionnalité qui partage les horaires de cinéma de l'application Facebook à la messagerie Facebook. Mon dernier stage (l'été dernier) était un peu plus excitant. Je travaillais depuis le bureau de la société situé à New York, dans l'équipe d'exécution du produit mobile en tant que développeur Android. Il était de ma responsabilité de créer des fonctionnalités qui améliorent l'exécution et les performances des applications mobiles appartenant à Facebook (Instagram, Facebook, WhatsApp, etc.).

L.C.K. : Vous êtes responsable de la communication de la société des ingénieurs noirs aux Etats-Unis. Qu'est-ce qui a justifié votre élection à ce poste ?

E.M.O. : Excellente question. J'ai été élue à ce poste au printemps dernier, lors du congrès annuel de la société. Ma responsabilité première est d’administrer le contenu du site Web national et d’établir les normes standards de site Web pour mes homologues subalternes. Nous sommes en train de mettre à jour le site Web de NSBE, alors restez à l'écoute !!!

L.C.K. : Quels sont, selon vous, les qualités et les compétences requises pour être un bon ingénieur ?

E.M.O. : Patience, persévérance et ouverture d'esprit. La plupart des gens ne le réalisent pas mais la programmation informatique ne représente que 20% d’exécution tandis que 80% sont consacrés à la planification et à la résolution des problèmes. Si vous savez résoudre les problèmes ou si vous êtes un penseur logique, vous feriez très probablement un excellent ingénieur en logiciel. Une autre idée fausse que les gens ont est que les ingénieurs logiciels doivent être bons en maths. Bien sûr que ce n'est pas vrai, mais une base solide en mathématiques vous aidera à devenir un meilleur penseur logique.

L.C.K. : Quels sont les challenges auxquels vous faites face en tant que femme ingénieure et comment arrivez-vous à les surmonter ?

E.M.O. : Habituellement, lorsque je dis aux gens que je suis une ingénieure en logiciel, je suis souvent surprise de leur réaction, comme s’ils ne me croyaient pas. Être une femme et noire dans cette industrie peut être extrêmement difficile parfois. Pour beaucoup d'ingénieurs avec lesquels j'ai travaillé, c'était pour la première fois qu'ils avaient directement une femme noire comme collègue. J'ai été dans des situations où je donne à un ingénieur la solution à un problème lié au code et ce dernier ne prenait pas ma solution comme réponse finale. Une fois, un autre a passé d'innombrables heures à chercher une autre solution, contrairement celle que je luis avais proposée. Mais, à la fin, il a fini par accepter la mienne car il ne parvenait pas à en trouver une autre. Dans de telles situations, je demande souvent conseil à mes amis noirs qui sont aussi des ingénieurs. Avoir un réseau de soutien comme celui-ci m’a aidée à surmonter de nombreux cas de partialité et d’autres expériences indésirables au cours de ma carrière en tant qu’ingénieur logiciel.

L.C.K. : Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu sur le plan professionnel ?

E.M.O. : Je vais citer ma mère qui nous exhorte souvent en conseillant qu'il y a toujours une solution à un problème. Notre mère a toujours dit, à mon frère, ma sœur et moi, que nous ne devrions jamais permettre à quiconque de mettre une barrière dans notre esprit et de ne jamais laisser quiconque nous dire que nous ne pouvons pas accomplir quelque chose.

L.C.K. : Quel lien gardez-vous avec la RDC, votre pays d’origine ?

E.M.O. : Mes deux parents sont congolais. Une bonne partie de ma famille réside encore en RDC et une autre se trouve maintenant entre l'Europe et les États-Unis. Je prévois de partir très bientôt en RDC pour passer le temps avec ma grand-mère que je n’ai pas vue depuis longtemps.

L.C.K. : Quels sont vos projets ?

E.M.O. : Récemment, j'ai terminé une application mobile qui sert de système de caméra de sécurité et de vision arrière à faible coût pour les véhicules à moteur de camping. Je me suis associée avec une entreprise locale (RVIntelligence de Herb Gringold) au nom de mon université pour développer ce projet. Pendant mon temps libre, je programme des applications mobiles (iOS et Android) pour le plaisir. Plusieurs projets sont en cours de réalisation, mais je ne peux pas trop en parler tant qu’ils ne sont pas publiés. Je crée des applications et des sites Web mobiles au sein de mon entreprise, Mayi-Mayi Tech.

Propos recueillis par Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

1- Esther Musube Onema / DR 2. Esther Musube Onema devant le siège de Facebook/ DR

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