Tribune libre : soixante ans d’indépendance, ces oubliés de la mémoire !

Samedi 27 Juin 2020 - 15:02

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« Aux grands hommes, la patrie reconnaissante », dit-on. Cette maxime, la République démocratique du Congo, à l’instar d’autres Etats du monde, est appelée à s’en approprier eu égard aux sacrifices consentis, à travers les âges, par ses dignes fils pour hisser toujours plus haut ses couleurs.

 

Mon propos du jour consiste à remonter à la surface les souvenirs de certaines personnalités congolaises qui ont servi la cause nationale sans forcément attirer sur elles les attentions souhaitées.  J’interroge ici le passé historique par le biais de ces compatriotes dont les œuvres ont traversé le temps et qui, aujourd’hui, baignent dans une espèce d’aura sans récompense. En remontant le temps, j’éprouve une pensée pieuse pour le caporal Daniel Miuki, l'un des derniers anciens combattants congolais de la Deuxième Guerre mondiale (1940-1945) décédé il y a quelques mois à l'âge de 95 ans. Ce sous-officier congolais avec son compagnon d’armes Albert Kunyuku, tous deux survivants de la « Force publique », ont incarné la bravoure et la vaillance de tout un peuple quand bien même ils « n’ont jamais rien touché » de la part des pays pour lesquels ils ont combattu. A leur suite, des jeunes soldats congolais ont, plus d’une fois, administré la preuve de leur puissance de feu partout où ils ont été sollicités sur le continent. Ils méritent également de la patrie !

Bien avant eux, il y a eu d’autres compatriotes à l’instar de Paul Panda Farnana, le premier Congolais à avoir suivi des études supérieures en Belgique (Vilvoorde) et en France (Nogent-sur-Marne). Lui aussi a exporté le Congo dans ce qu’il recèle de positif. Entre 1957 et 1960, l’histoire du pays s’est cristallisée autour d’une dynamique intellectualiste amenée par la première génération des universitaires fortement impliqués dans le processus de l’indépendance. Leurs noms : Mabika Kalanda, Kisuka Gustave, Mandrandele Prosper, André Tshibangu, Albert Ndele, Henri Takizala (pour ne citer que ceux-là). Ces premiers diplômés de l’Université Lovanium ont été à la fois témoins et acteurs de l’histoire naissante de la RDC et des débuts balbutiants de son accession  à la souveraineté nationale et internationale. Ils constitueront plus tard le fameux collège des « commissaires généraux » créé par Mobutu au lendemain de sa prise de pouvoir pour, disait-il, « neutraliser les politiciens ».

L’épopée glorieuse

D’autres intellectuels congolais de première heure n’étaient pas en reste dans cette mouvance indépendantiste qui souffla sur l’ex-Zaïre. Joseph Kasa-Vubu en fut un. Cependant, sa nature discrète face au tribun Patrice Lumumba l’a fait péricliter dans l’oubli. Et pourtant, son opposition au Plan Van qui prévoyait une décolonisation étalée sur trente ans au profit de l’indépendance immédiate du Congo qu’il réclamait à cor et à cri, a fini par payer. Joseph Malula, Joseph Ileo et tant d'autres élèves des Pères de Scheut, signataires du Manifeste de la Conscience africaine, sont en droit de considérer l’indépendance acquise en 1960 comme résultant d’une œuvre commune.   

Entre 1969-1974, le pays connut ses années fastes caractérisées notamment par des réjouissances populaires de grande envergure qui s’enchaînaient. « Heureux le peuple qui chante et qui danse », dixit Mobutu, obnubilé alors par le désir de faire rayonner son pays à l’échelle internationale. La musique, ou plutôt la Rumba congolaise dont Wendo Kalosoy, Bowane, Kabasele Tshamala, Nico Kassanda, Tabu Ley, Vicky Longomba, Luambo Makiadi et tant d’autres furent les géniteurs, fut portée aux nues au point d’étendre ses tentacules en dehors des frontières nationales.

Ce fut l’époque de grands festivals internationaux de musique. L’onde limpide que charriait cette effervescence particulière fut ressentie dans presque toutes les disciplines culturelles, symbolisant ainsi la vitalité d’un Congo en mouvement. Les écrivains, les BDéistes, les artistes plasticiens, les comédiens et autres ont, chacun selon son inspiration, immortalisé cette période faste. Des prestigieux noms incarnent cette épopée glorieuse et fulgurante du Grand Zaïre. De Zamenga à Yoka Lye Mudaba en passant par Mutombo Bwitshi, Mikanza Mobyem, etc., la culture congolaise avait de quoi s’enorgueillir car il y avait du contenu, de la valeur et de la hauteur ! Les différentes productions littéraires reflétaient bien l’extase populaire qu’inspiraient les belles lettres. Le théatre classique avec Kalend Yahw a Luil et son pendant populaire piloté par un certain Benjamin Yeya, dit « Andele Maboke », ont meublé le temps  des Congolais, bien avant que Tshitenge Nsana n’apporte sa donne innovante en matière de production cinématographique.

C’est également en cette période que le sport congolais et, particulièrement le football, engrangea ses titres de noblesse avec, à la clé, deux Coupes d’Afrique remportées entre 1969 et 1974. De quoi devoir une fière chandelle aux artisans de ces performances dont la plupart ont déjà parachevé leur pèlerinage terrestre. Je pense particulièrement à Kalala Mukendi et à Ndaye Mulamba, deux buteurs d’exception dont les noms sont inscrits en lettres d’or dans les annales sportives. La puissance du Congo indépendant s’est aussi révélée dans chaque discipline sportive avec, en soubassement, cette envie soutenue de vaincre, laquelle s’est révélé, au fil d’années, l’un des attributs de l’athlète congolais. 

Des inventeurs, des innovateurs…  

Dans le domaine de l’invention, le pays a eu sous sa coupe des personnalités telles que Kabasele Mwamba, icône mondiale de la création grâce à sa liqueur, le pousse-café mis au point en 1978. Et puisqu’on y est, pourquoi ne pas évoquer le souvenir de cet autre chercheur de classe exceptionnelle dans le domaine du génie atomique, en l’occurrence le Pr Malu wa Kalenga. Ce docteur en sciences appliquées a travaillé à la promotion et à l’utilisation de l’énergie atomique en Afrique et au Zaïre qui a abouti à la création du Centre régional d’études nucléaires de Kinshasa. Que dire alors de ces médecins congolais dont l’expertise dans divers domaines spécialisés est encore aujourd’hui très sollicitée comme en témoigne l’intérêt que la communauté universelle accorde aux recherches du gynécologue Denis Mukwege, ou encore du Dr Munyangi.

Je ne saurai clore ce voyage à travers le temps sans faire un clin d’œil à toutes ces femmes qui ont fait évoluer la cause féminine par leur courage et leur sens d’abnégation à l’image de Sophie Kanza (première femme congolaise à avoir occupé un poste ministériel), Vicky Ndjoli (première congolaise à avoir conduit une voiture à Léopoldville dès 1955) ou encore Lucie Eyenga, l’une des premières voix féminines congolaises gravées sur disque.   

Une allée de la mémoire. Voilà ce que doit représenter le Congo du fait de l’immensité de son histoire. Un édifice bâti à coup de pioches et de dur labeur, voilà ce qu’est le Congo. Ils sont innombrables, ces hommes et ces femmes dont la rage et le courage, la persévérance et la tolérance ont marqué, tels des rayons solaires, leur désir effréné de présenter autrement leur pays. Par petites touches, chacun dans la sphère de ses compétences, aura posé sa pierre pour l’édification de la République. Ces faiseurs de l’histoire ont incarné le Congo et en ont fait une nation respectable à travers le monde. Ils n’ont peut-être pas été récompensés à leur juste titre, mais ont réussi à inscrire leurs noms au panthéon des immortels.

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Des électeurs devant un bureau de vote

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