Evocation : Mwana Okweimet, le fétiche et le destin (2)

Samedi 30 Janvier 2021 - 18:15

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Quand la grossesse arriva à son terme, la première partie de la prédiction d’Ambolo s’avera exacte : Lembo’o accoucha d'une fille. La nouvelle de cet enfantement courut dans tout le village accueillie avec un mélange d’espoir et d’inquiétude ; car, par le passé, aucun enfant né de Lembo’o n’avait survécu. Or, le jour où Lembo’o mit au monde, Itsou m’Iganda le père du nouveau-né avait de la visite au titre de son expertise relative à la mise au point du fétiche Okweimet. Retiré dans un sanctuaire avec ses assistants, en communion avec les esprits, Itsou m’Iganda instrumentait le fétiche de la justice infaillible que des requérants étaient venus chercher. A la sortie du sanctuaire, il s’exclama vivement et jura par tous ses ancêtres à la nouvelle de la naissance de l’enfant de Lembo’o. Dans son esprit, la coïncidence horaire entre l’accouchement et la mise au point du fétiche okweimet ne procédait pas d’un simple fait de hasard. Vigilant, il y vit un signe divin : assurément, pensa-il, dans leur clémence, les esprits avaient baissé leur regard sur cette malheureuse Lembo’o et décidé de mettre son nouveau-né sous la haute protection du fétiche okweimet. Aux fins de la matérialisation de cette haute protection, il prénomma la nouvelle née Mwana Okweimet, l’enfant d’Okweimet, c’est-à-dire l’enfant né sous le signe du fétiche okweimet.

2- Le monde s’effondre

La naissance de Mwana Okweimet eut lieu alors que le 20e siècle déroulait sa troisième ou quatrième année. En ces temps-là, des hommes blancs qu’on appelait Ebami à cause de la ressemblance du pigment de leur peau avec un fruit du même nom avaient déjà fait leur apparition sur la rivière Alima en provenance des frontières du coucher du soleil en amont de la rivière. Ces Ebamis, pensait-on étaient des négociants. Ils ramenaient de leur pays des produits manufacturés qu’ils échangeaient avec les produits locaux : pointes d’ivoires, peaux de léopards, etc. Au courant des bonnes affaires qu’on traitait dans le bassin de l’Alima-Nkéni- Pama, Itsou m’Iganda était connu de certains de ces Ebamis résidant à Pombo sur la Basse-Alima et avec lesquels il commerçait. Autour de Pombo promise au rang de chef-lieu de la subdivision de la Basse-Alima, la présence des Ebamis était signalée à Tongo non loin de là, à Tsambitso qu’ils avaient rebaptisés Sainte Radegonde, à Boka et à Mboundji rebaptisé Saint-Benoit. Depuis leur arrivée sur les rives de la Basse-Alima courant les dernières années de la décennie 80 du 19e siècle, les termes de l’échange entre les Ebamis et les locaux étaient à la hauteur des attentes de chaque partie.

L’année 1908 changea cette donne de façon irréversible en faveur des étrangers quand des acteurs jusque-là inconnus des autochtones entrèrent en scène en modifiant définitivement les termes de l’échange entre Européens et Africains sur les rives de la Basse-Alima. François Guyonnet fut le porte-parole et l’artisan du déséquilibre des termes de l’échange qui se traduira bientôt en racket, pillage et mise en esclavage des populations. A la différence des négociants qui avait commerce avec les riverains de l’Alima, François Guyonnet était militaire, lieutenant et représentant de l’administration coloniale naissante qu’il servait à Gamboma sur la rivière Nkeni comme chef de la subdivision des Batékés.  En 1908, à Pombo, il convoqua la notabilité mbochie, proposa une reforme territoriale en instituant une nouvelle chefferie puis cerise sur le gâteau annonça le prélèvement d’un impôt par tête d’habitant et sur les biens privés des populations. Au titre de la première annonce, Ondongo m’Ongyèley, un habitant de Pombo et, Itsou m’Iganda furent respectivement élevés au rang de représentants des Français, l’un pour les riverains et l’autre pour la terre ferme. Ils furent affublés d’écharpes tricolores des couleurs du drapeau français. Ces écharpes nouées comme des cordes autour du corps reçurent l’appellation locale de « singa ». Ce terme deviendra plus tard l’attribut du pouvoir d’Etat. La seconde annonce provoqua consternation et incompréhension dans la salle de réunion. Parmi les notables présents, Itsou m’Iganda exprima franchement son hostilité au paiement à des étrangers d’un tribut qui ne répondait à aucun critère traditionnel en matière d’imposition fiscale. ( à suivre)

 

 

 

Ikkia Ondai Akiera

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