Interview. Carmel Matoko : « La plus jeune des victimes était âgée de trois ans »

Vendredi 19 Mars 2021 - 12:28

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Directrice de l’hôpital de base de Bacongo, médecin chef par intérim, du district sanitaire, gynécologue, spécialiste sur les violences basées sur le genre, le Dr Carmel Stella Miabanzila Matoko est très active dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Si ses fonctions actuelles ne lui permettent plus d’être très souvent sur le terrain, elle garde néanmoins un pied dans ce combat qui lui tient à cœur. Son regard sur le 8 mars nous révèle aussi son côté moins connu d’activiste. 

Les Dépêches du Bassin du Congo (LDBC)  :  Quels types de violence se répètent le plus souvent chez les patients qui arrivent en consultation à l’hôpital de base de Bacongo ?

Dr Carmel Stella Miabanzila Matoko : Ce sont souvent les conséquences des violences physiques qui font que les femmes viennent à l’hôpital. C’est dans le suivi de ces patients qu’on se rend compte qu’il y a, par exemple, une violence psychologique qui est aussi grave que les violences physiques parce qu’elle développe très souvent des troubles de comportement. Donc au niveau de Bacongo, nous avons eu à enregistrer plusieurs formes de violence au sein de l’unité de prise en charge mais, avec l’appui des psychologues, nous arrivons à redonner de l’espoir aux victimes.

LDBC : Combien de cas de violences sont enregistrés chaque an dans votre unité de prise en charge ?

Dr CSMM : Pour ce qui concerne l’année 2020, nous avons noté une hausse entre le premier et le second trimestre. Au premier trimestre, on a eu moins de vingt cas. Au second, on a enregistré une hausse au triple, c’est-à-dire que nous sommes passés de 13 cas à 57 cas de violences sexuelles. On a compris que cette hausse était liée au confinement au vu des enquêtes menées. Il sied aussi de dire que la plus jeune des victimes était âgée de trois ans. On a donc au total enregistré pour l’année 2020, près de quatre-vingts cas de victimes de viols.

LDBC  : Ces femmes victimes de violence se confient-elles facilement ?

Dr CSMM : Ce n’est pas évident, mais on y parvient. Et c’est la difficile tâche des psychologues qui par leur patience et savoir-faire réussissent à redonner confiance aux victimes. Vient ensuite la phase de la guérison qui varie d’un patient à un autre. Ce sont des thérapies qui prennent du temps, et pour vous dire, jusqu’à présent les victimes de l’année dernière viennent toujours en consultation une à deux fois par mois selon que le traumatisme est important.

LDBC : D’où viennent les victimes de violence avant d’arriver à l’hôpital de base de Bacongo ?

Dr CSMM : Les victimes sont en général orientées par la police ou par la gendarmerie. D’autres victimes ont été envoyées lors du confinement par le PAM et le Fnuap (un projet, financé par les Nations unies), qui en dehors de distribuer des bons de nourriture aux familles vulnérables faisaient de la sensibilisation et orientaient les victimes vers les centres de santé, notamment à Bacongo et l’hôpital de Talangai.

LDBC : Est-ce que les gendarmes et policiers reçoivent une formation pour accueillir les victimes dans leurs postes respectifs ?

Dr C.S.M.M :  Effectivement, cela fait près de quatre ans qu'on travaille avec la police. Un travail qui aboutit à un projet sur les violences basées sur le genre qui est financé par les fonds du ministère de l’extérieur. On a formé des agents et les directeurs départementaux. Mais comme il y a des affections, on perd nos formateurs. La solution serait de faire permanemment des formations, afin qu’on épuise tout l’effectif de la police.

LDBC : Les violences faites à l’égard des femmes peuvent-elles freiner l’élan d’une fille pour sa réussite ?

Dr CSMM : Absolument, on a reçu un cas palpable l’année dernière. Une fillette de 12 ans a été victime de violence sexuelle au niveau de la corniche. Elle a eu une fracture au niveau de l’humérus, et cela a exigé une intervention chirurgicale. Tout cela se passe dans la période avant le CEPE. A cause de l’intervention, elle n’a pas pu aller à l’école et n’a pas pu faire son examen. Oui, cela freine l’élan de la victime, vu qu’elle est psychologiquement touchée, et le traumatisme subi prend souvent du temps à guérir. Cela arrive aussi à des jeunes femmes à l’université, à cause de la pression d’un docteur ou d’un assistant, elle préfère laisser tomber leurs études.

LDBC : Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés pour cette année ?

Dr CSMM : Je vais dire la loi sur les violences faites aux femmes. On travaille beaucoup sur la prise en charge, et l’accompagnement de la victime mais il n’y avait pas un cadre national de réponse. Mais grâce aux plaidoyers faits auprès des décideurs, des ministères, partenaires, on a déjà une stratégie qui est budgétisé, et il ne reste plus qu’à la mettre en place. Le deuxième plaidoyer concerne la loi, on n’a toujours pas une loi concernant les violences faites aux femmes. Mais, en attendant, on a installé un numéro vert le 1444 pour permettre aux victimes de dénoncer les violences mais combien de personnes l’utilisent.

LDBC : Le 8 mars on célèbre dans le monde entier la journée de la femme.  Et le thème de cette année, loin d’être anodin, parle du leadership et de la violence à l’égard des femmes. Qu’évoque pour vous le mot leadership ? Et quels sont les critères d’un bon leader ?

Dr CSMM : Le thème de cette année est très intéressant car il parle de la résilience. Le leadership au féminin est capital aujourd’hui vu que nous avons pris du retard par rapport à nos cultures. Les tâches ménagères par exemple étaient assignées aux filles pendant que les garçons jouaient au football, ou regardaient la télé. Tous ces préjugés ont fait que la fille depuis la cellule familiale pense qu’on lui a déjà assignée un rôle. Voilà pourquoi on parle de genre, ce sont des choses qu’on impose.  Aussi est-il indispensable de casser ces codes pour qu’une femme devienne un bon leader car être leader c’est croire en soi, avoir un certain caractère pour être un bon guide pour les autres.  

Propos recueillis par Berna Marty

Légendes et crédits photo : 

Dr Carmel Stella

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