Société : tranches de vies sans lumière

Jeudi 15 Avril 2021 - 19:54

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C’est depuis la nuit des temps [une nuit qu’il faut éclairer à la bougie] le sujet qui fâche les Congolais. Cible du mécontentement : Energie électrique du Congo.  Une cible hors d’atteinte tant la société, forte de son monopole, ne semble avoir cure  de la colère de ses clients. Qu’en est-il dans le quotidien de la population ? La réponse en lumière et en quelques tranches de vies.

En 1879 Thomas Edison inventait l’électricité dans les foyers ! En avril 2021, où en sommes-nous  à Pointe- Noire, capitale économique du Congo ? Olivier est un fan du Réal Madrid et ce samedi là c’est le Classico tant attendu depuis des mois. Comme si les projecteurs du stade Santiago Bernabeu venaient soudainement de s’éteindre, voilà le match plié bien avant le coup d’envoi : « Depuis le début de la semaine,  je me faisais une joie de voir Benzéma face à Messi.  D’habitude quand le courant part comme ça, on court aussitôt voir le match dans un bar du quartier mais là... avec le couvre-feu, impossible ! J’ai loupé le match de l’année et c’est un peu de bonheur qui s’envole ». A l’évidence, lorsque l’électricité part, la vie part avec elle, la ville se met à l’arrêt, et toute l’économie s’en ressent. « Moi, j’ai un petit studio d’enregistrement au quartier. Deux jours qu’on n’a pas de courant, je suis obligé d’annuler les séances, le travail n’avance pas. Les musiciens sont fatigués de payer leurs transports et perdre leur journée à attendre pour rien. Il faudra pourtant payer la facture pour pas ne pas être brutalement coupé au poteau », lâche Précieux visiblement abattu.

Devant sa cabane en planches, Thérèse, la mine fatiguée, peste de plus belle : «  On fait comment ? Ma mère a 98 ans, elle vient juste de sortir de l’hôpital, elle est encore très fiévreuse. Vous vous imaginez avec la chaleur qu’il fait ? Pas de ventilateur, elle meurt de chaud et je veille sur elle à la bougie comme pour une soirée funèbre. Pauvre femme, c’est pas une vie ! Et je ne parle même pas des petits qui n’ont pas pu faire leurs devoirs ».  Le refrain est éternel, la population ponténégrine ne décolère pas : « J’ai fêté hier mon anniversaire dans le noir. On a dansé sur les MP3 de nos téléphones et pour finir, comme ils étaient déchargés,  on a du danser en chantant et en frappant dans nos mains. Ca ne doit pas nous empêcher de vivre, chacun de mes invités est reparti avec une bougie du gâteau comme souvenir. Mais c’est triste, la fête a été gâchée », raconte Divin au lendemain de son 20e anniversaire.

Marcus, qui dirige un atelier de soudure, fait quant à lui parler les chiffres : «  J’ai de grosses machines, les délestages me coûtent une fortune en carburant, ça triple même l’équivalent de ma facture d’électricité. Et même lorsqu’il y a du courant, la tension est si faible que parfois je dois laisser le groupe électrogène allumé. J’ai l’impression de travailler pour pas grand chose, payer les charges, manger un peu, payer mon toit et c’est tout ».  Impossible de trouver âme qui vaille et qui pourrait placer un indice de satisfaction plus élevé quant à la fourniture d’énergie électrique  dans la ville océane, que ce soit dans son centre ville ou dans ses quartiers périphériques : «  On a changé le nom de la SNE, c’est bien mais ça change quoi  avec E2C ? Le pire c’est qu’on en finit par en rire car c’est pareil depuis des années, oui ça en devient la risée du peuple. Moi, j’en ris un peu moins car je suis infographe et sans électricité je ne peux travailler que la moitié du temps avec mon ordinateur. D’un point de vue économique, j’imagine que ce sont des centaines de millions perdus sur l’ensemble du pays pour tous ceux qui ne peuvent pas travailler », conclut Gildas qui vient d’ouvrir sa société au tout début de l’année. Ces tranches de vie témoignent d’une ambiance  qui tend à devenir électrique à Ponton la Belle, une capitale économique excédée par les délestages journaliers et Thomas Edison de s’interroger dans sa tombe.

 

Philippe Edouard

Légendes et crédits photo : 

La capitale économique est excédée par les délestages journaliers

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