Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (13)

Jeudi 6 Mai 2021 - 19:52

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13. Mwakoumba déjoue les esclavagistes

Les calculs de Mwakoumba s’avérèrent exacts : au fur et à mesure que l’après-midi avançait, le monde affluait au cours d’eau Kala-kala. La manifestation Embonga avait précipité femmes et enfants vers l’expansion lacustre plus tôt que d’ordinaire. Concentrée sur Akondzo, son dernier fils qu’elle nettoyait, la mère de Nyelenga continuait d’ignorer obstinément les deux malfaiteurs plantés quelques mètres plus loin. Enfermée dans son refus de céder au chantage de Ngatsé Kololo, elle avait trouvé un appui et comme un renfort inespéré en la personne des femmes que l’approche de la fête avaient poussé vers le lac. Le dialogue était rompu. Kololo semblait avoir perdu le nord ; aphone et confus, il était comme intimidé. L’arrivée de nouvelles figures au lac n’était pas pour l’aider à légitimer sa revendication esclavagiste. Il n’était pas à l’aise de se retrouver parmi des femmes qui prenaient leur bain. Après des coups d’œil furtifs en direction de son interlocutrice, lui et son compagnon esquissèrent à contrecœur le pas de retour vers le village. Adoua Mwakoumba continuait de les épier du coin des yeux. Elle se mit à multiplier des gestes anodins avec les enfants :  elle temporisait et voulait, selon toute évidence, faire le chemin de retour en compagnie de certaines baigneuses qui couraient derrière le temps. Cependant, le plan de cette attente fut rapidement bouleversé par deux situations inattendues.

En effet, après avoir favorablement inspiré Mwakoumba dans la protection de l’enfant de Lembo’o, le fétiche Okwèmet entra une nouvelle fois en scène et mit Mwana Okwèmet définitivement hors de danger en précipitant les évènements.

D’abord, alors que Ngatsé Kololo et son complice marchaient à pas d’escargot et semblaient mijoter un mauvais coup, ils furent tirés de cette indolence calculée par l’arrivée soudaine d’Olomi a’Ngongo. Le griot était accompagné d’un individu que Mwakoumba de nouveau fébrile et désespérée par ce nouveau développement eut du mal à identifier. Un gamin du village les servait de guide. Olomi a’Ngongo marchait à grands pas, l’air pressé. Bien qu’encore assez éloigné de ses deux émissaires, il interpella sans s’arrêter Ngatsé Kololo. Le corps de Mwakoumba fut parcouru par une étincelle de soulagement lorsqu’elle entendit, au moins par deux fois, la voix nasillarde et presque effrayée du chanteur d’Embonga prononçant distinctement le nom d’Ibara E’Guéndé qu’il associa avec l’arrivée à Eygnami d’une cohorte de compagnons armés jusqu’aux dents.

Surpris, Kololo jeta un coup d’œil interrogateur vers son acolyte et balbutia l’air dévasté :

  • Ibara E’Guendé, ici ? Mais, E’Guendé est mort il y a cinq jours avec son père pendant l’invasion de Bèlet par les Fala ! Tous les réfugiés en provenance de Bèlet l’ont attesté publiquement avec moult détails. Je ne voudrai pas croire le contraire de ce que nous avons entendu jusqu’ici. Tu sais ce que cela signifie pour nous présentement !

De plus en plus pressé et impérieux, le griot balaya d’un revers de la main l’inquiétude de son complice. L’arrivée d’E’Guéndé qu’il redoutait tout particulièrement l’avait pris au dépourvu, il voulait au plus vite quitté Eygnami.

  • Grouillez-vous avant que la chose ne soit connue de toute la terre. J’ai déjà repris l’argent de l’achat. E’Guéndé, tu le sais, est tout aussi téméraire que son père, en plus d’une cruauté irrépressible quand il est aux prises à ses accès de colère. Je vous l’ai dit dans la journée : je ne voulais pas me mêler à cette histoire car E’Guéndé ne me le pardonnera jamais. E’Guendé est ici, en chair et en os, à Eygnami. Il a pris ses quartiers à Emboli chez son grand-père. Et, le diable soit avec lui, c’est dans ce quartier que nous devrions nous produire ce soir.

Il s’interrompit puis légèrement détendu, il tenta de se dominer et de rassurer ses compagnons :

  • Je suis certain que ni Tsama        amba Dimi, ni Nyaka n’ont bruité cette affaire. Il n’était nullement dans leur intérêt de le faire mais, sait-on jamais...

Kololo estima que son ami, de plus en plus fébrile, avait oublié certains détails de la trame qu’il avait élaborée pour s’emparer de l’enfant de Mboundjè. Pour lui rafraîchir la mémoire, démonstrativement, il tendit son bras vers Mwakoumba qu’il indexa en attirant l’attention du griot sur celle-ci. Olomi a’Ngongo saisit instantanément l’intention de son acolyte et regretta d’avoir changé le scénario du rapt nocturne qu’on lui avait proposé. En dépêchant Kololo solliciter la collaboration de Mwakoumba, espérant ainsi accélérer la procédure du déracinement de leur victime, il avait imprudemment ajouté dans sa trame des acteurs qui pourraient s’avérer bavards et le grilleraient en cas d’échec. Il se rendait maintenant compte de son mauvais calcul. Devant la justice d’E’Guéndé, il le savait, il n’avait de salut que dans la fuite.

Sans plus tarder, Kololo et son suivant abandonnèrent la partie, pressèrent le pas et rejoignirent Olomi a’Ngongo, son compagnon et leur guide. Le petit groupe disparut bientôt derrière une courbe herbeuse du sentier qui les ramenait au village.

Au niveau du lac, certaines baigneuses surprises de la présence furtive de la vedette d’Embonga s’interrogeaient. Elles avaient entendu le griot parler d’Ibara E’Guéndé avec un ton effrayé mais, sans saisir de quoi il était question. Il en allait tout autrement de la protectrice de Mwana Okwèmet pour laquelle les nouvelles apportées par Olomi a’Ngongo et son discours apeuré étaient synonymes d’un vent d’espoir.

L’annonce de l’arrivée plutôt que prévue d’Ibara E’Guéndé à Eygnami conforta et soulagea singulièrement Adoua Mwakoumba dans sa lutte pour la protection de l’enfant de Lembo’o et son espoir de voir libérer sa sœur Apila. Avec l’arrivée d’E’Guéndé et la fuite éperdue d’Olomi a’Ngongo et ses sbires, elle était maintenant certaine de ramener, le moment venu, la petite orpheline saine et sauve auprès de sa mère à Bèlet. Cette arrivée d’E’Guendé signifiait aussi la présence à Eygnami de Ngadoua Oley, son mari. Elle estima que les heures de la captivité de sa sœur à Ekoli étaient maintenant comptées car, pensa-t-elle, aucun doute ne pouvait plus subsister sur ce point. E’Guéndé et Oley n’accepteront jamais de voir l’honneur de la famille de leur belle-sœur et de leur épouse compromis dans une affaire d’esclavagisation d’un des leurs pour le sordide motif d’une dot non remboursée. Elle était certaine, que dans les heures qui suivront, ils complèteront l’argent qui manquait jusque-là.

Au moment où Mwakoumba s’apprêtait à quitter le lac en compagnie des femmes qui avaient fini leur bain, Mwana Okwèmet qu’elle tenait par la main la questionna :

  • Belle-sœur Adoua, est-il vrai que mes frères E’Guéndé et Oley sont là-bas au village ? Sont-ils venus me prendre pour me ramener à Bèlet auprès de ma mère ?...

Adoua plongea son regard sur le visage de l’enfant. Elle était jusqu’à cet instant restée silencieuse, absente, ignorant tout de la conspiration contre sa liberté dont les ressorts venaient de se briser. C’était une gamine à la chevelure abondante, au front bombé avec un nez droit légèrement courbe à sa naissance, encadré par deux grands yeux d’un noir intense. Le teint de sa peau était comme celui de son père, très clair à l’image de la plupart des personnes de cette époque.  Lorsqu’elle découvrit le complot qui menaçait la petite refugiée, un déclic se fit dans la tête de Mwakoumba : elle se rappela   le complot qui emporta jadis Mwelenga, sa cousine et son amie d’enfance.   Au moment de son déracinement suite à la perfidie de Ngakala Obéra, Mwelenga, son alter-ego, avait le même âge que la fillette de Lembo’o. Des années après l’enlèvement et la vente de Mwélenga, Adoua avait conclu que dans la société dans laquelle elle vivait, nul n’était à l’abri de ce genre de désagrément. Ce drame aurait pu être le sien : il suffisait pour cela d’inter-changer les acteurs et les rôles, ce qui revenait à peu de chance dans l’ordre du hasard.

 Revenant au présent, Adoua  fut vivement effrayée, lorsqu’elle s’aperçut que sous d’autres circonstances de temps et de lieux, un de ses enfants, E’Ngoussou ou Nyelenga ou Opoyi a’Ma et pourquoi pas le bébé Akondzo aurait pu aussi être victime d’une mésaventure semblable à celle dans laquelle elle venait de tirer Mwana Okwèmet.  Le souvenir de Mwélenga la poursuivait. En sauvant Mwana Okwèmet des mains des esclavagistes, Adoua Mwakoumba pensait avoir empêché le mal dont Mwélenga fut victime de récidiver. Dans son esprit, les choses se passaient comme si à travers cette innocente enfant, le fantôme de Mwélenga avait voulu éprouver la force de son caractère à l’heure décisive du choix entre le bien et le mal.  Debout non loin du lac où femmes et enfants se lavaient, elle contempla une nouvelle fois Mwana Okwèmet, soulagée et heureuse comme si elle la regardait pour la première fois. Elle y vit un être sublime, dont la fragilité à l’égale de l’innocence formait un halo de lumière autour de son corps. Adoua s’était jurée de la protéger et de la ramener à sa mère. Maintenant, estima –t-elle, plus rien ne s’opposait à l’atteinte de ce but.

 Elle était contente de savoir qu’E’Guéndé, Oley et, certainement, d’autres acteurs du théâtre de Bèlet étaient présents à Eygnami. Elle ne pouvait plus rien craindre pour la sécurité de sa petite protégée. Elle la rassura en arborant un visage rayonnant :

  • Oui, c’est vrai, ils sont là ! Apparemment, ils seraient nombreux, presque la moitié de Bèlet.
  • Ah ! La moitié de Bèlet, ici, avec mon frère E’Guéndé pour me ramener dans la cité aux mille clameurs ? !

Mwakoumba sentit son oreille caressée par la sonorité du timbre d’une petite voix cristalline, gaie, amusée et rassurée. (à suivre)

Ikkia Ondai Akiera

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