Evocation : Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (14)

Vendredi 21 Mai 2021 - 13:18

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

14. Lembo’o retrouve Mwana Okwèmet

Olomi a’Ngongo et ses deux compagnons avaient à peine disparu derrière les hautes herbes touffues hérissées à l’endroit où le sentier forme une courbe lorsqu’émergeant de celle-ci comme d’un sac à surprises, apparurent de nouveaux visages dont l’arrivée à Eygnami bien que dans l’ordre des probabilités n’avait jamais effleuré l’esprit de Mwakoumba. Cette après-midi, au bord du lac, fut pour elle une succession de surprises ponctuées par des combats, des frayeurs et des victoires. La dernière surprise que le ciel lui réserva fut aussi la plus sensationnelle de cet après-midi riche en émotions. En effet, aussi inattendue que cela puisse paraître, et, quoi qu’encore lointaine, la silhouette familière de Lembo’o la’Mbongo, la mère de Mwana Okwèmet, s’imposa à Adoua Mwakoumba et aux enfants debout à ses côtés de manière indiscutable. Il n’en fallut pas plus pour arracher des cris de joie des bouches du petit groupe de réfugiés. Immédiatement, on courut de part et d’autre, du côté de Lembo’o comme du côté de Mwakoumba, les bras tendus, dans cet élan unique qui naît quand, à l’unisson le cœur et le corps, se lancent à l’assaut du merveilleux et s’offrent follement à l’étreinte avec autrui. Les deux groupes se rejoignirent au pas de course et fondirent l’un dans l’autre dans le fracas des exclamations, des soupirs et des pleurs.  Sous le coup de l’émotion, Mwakoumba s’était jetée en pleurant dans les bras de la veuve d’Obambé Mboundjè :  c’était comme si, maintenant, elle venait de voir les nombreuses plaies du corps exsangue du martyr gisant dans une mare de sang à côté de ses compagnons. Les deux femmes pleurèrent. Issongo Etumba, la sœur cadette de Lembo’o qui l’accompagnait, Nyelenga et Mwana Okwèmet pleurèrent agrippées aux jambes de leurs mères.

 Adoua se souvint que dans la terreur des coups de feu et le sauve-qui-peut qui accompagnèrent l’invasion, les dépouilles des martyrs de Bèlet avaient été abandonnées aux envahisseurs. Aucun rite funéraire n’accompagna la mise en terre de celui qui, adulé et respecté de tous, fut à ses yeux l’homme le plus puissant de la terre. Dispersées par la force des armes, elle et ses coépouses ne purent observées les neuf jours de réclusion appelés i’kanda durant lesquels, à chaque aube, les femmes saluaient la mémoire du défunt par des chansons funèbres et des pleurs. Néanmoins, en dépit de l’irrégularité de la situation, Lembo’o portait un deuil à minima. Son port, ses gestes et sa voix l’annonçaient. Elle avait la tête rasée, parlait à voix basse et portait autour des reins des bandelettes d’un tissu bleu foncé protégeant un cache-sexe noué autour des reins à l’aide d’une corde. A la hauteur de sa poitrine, le collier de tatouage qui passant au-dessus de la naissance des seins se nouait derrière le dos avait laissé la place à un tracé de chaux. Le front et les joues étaient badigeonnés avec la même peinture. Ses joues s’étaient creusées : elle venait de passer quatre jours qui l’avaient sévèrement éprouvé. A l’assassinat de son mari, s’était ajoutée la disparition de son unique enfant qui acheva de dérober la terre sous ses pieds.

 Lembo’o souleva sa fille qu’elle porta avec des gestes délicats sans la quitter des yeux. Elle égrena les surnoms poétiques que la vieille Mwelah chantonnait le soir à l’adresse de sa petite fille pour l’endormir. Pendant que le groupe avançait vers le village, Mwakoumba apprit que le jour suivant l’invasion, avant leur retrait de Bèlet, les envahisseurs s’étaient repus de victuailles et de vins. Puis, devenus complètement fous, ils se mirent à hurler, à faire des gestes obscènes et à se pourchasser comme des animaux dans la jungle. Toujours hurlant, ivres-soûls, forts de leurs fusils ils quittèrent le village dans un étourdissant bruit de coups de feu. Le village s’étant vidé sur plusieurs axes, elle ne savait pas quand, elle accourut des champs, de quel côté et avec qui la gamine avait fui. Elle souffrit à l’idée insupportable de voir des malfaiteurs profiter de la détresse du village et la mort d’Itsou-mi-Nganda pour jeter bas leur masque d’hypocrisie et kidnapper la gamine. Ce fut trois jours après l’invasion qu’elle apprit par hasard, à Ngyèlakomo, un village voisin de Bèlet dans la direction d’Ala, la présence de Mwana Okwèmet parmi les enfants qui accompagnaient Adoua Mwakoumba.

Entre-temps, dans l’après-midi du second jour de la dispersion avaient accouru à Bèlet, sa sœur cadette Issongo Etumba et leur cousin Kassambé venu du pays bangangoulou. C’est en leur compagnie qu’elle rechercha Mwana Okwèmet. Ibara E’Guéndé et Ngadoua Oley se trouvaient à Passa quand leur parvinrent les échos de l’invasion et ses conséquences. Des renforts leur vinrent de Mboma, le village natal d’Obambé Mboundjè. Regroupés à Konosso’o et Olemey, E’Guéndé se replia avec ses partisans à Eygnami. C’est à Konosso’o que Lembo’o et ses deux parents avaient rejoint le groupe armé.

A leur arrivée au village, Eygnami avait abandonné sa coutumière indolence. (A suivre)

 

 

 

Ikkia Ondai Akiera

Notification: 

Non