Evocation : Kintélé le refuge, Kintélé l’abattoir (suite et fin)Jeudi 9 Décembre 2021 - 18:42 L’état-major des insurgés, les Cobras, maîtres des lieux, et qui avait besoin de combattants pour ses différents fronts de Brazzaville, ne voulut pas se permettre le luxe de disposer d’une force de police pour discipliner ce lieu de la mort. Des combattants revenant du front et des bandes de pillards se mêlaient dans ce vaste camp retranché. Les uns et les autres étaient armés. Ici, se vérifia une autre loi de la nature : en temps de guerre, les lâches sont une calamité pire que la guerre elle-même. En effet, à Kintélé, les pillards, les lâches, les couards qui ne pouvaient pas s’approcher de la moindre ligne de front à Brazzaville, tremblant à l’idée d’un face à face avec l’ennemi, trouvaient un courage inouï pour distribuer gratuitement la mort à des malheureux désarmés ou en position de faiblesse. Beaucoup de combattants perdirent la vie pour s’être aventurés à Kintélé rendre visite à des amis, des parents ou tout simplement venus en excursion avec d’autres combattants . Faire le preux, faire le justicier à Kintélé était un exercice très dangereux. On vous disait «To silana na yé » (qu’on en finisse avec lui) et le bruit des kalachnikovs faisaient le reste devant des yeux indifférents. Il eût en tout cas des scènes poignantes. Des gens moururent en défendant des amis contre des fauves déchaînés. Il tombait par jour au moins cinq à dix victimes. L’écho de ces morts inutiles créa une vive émotion dans les lointaines régions qui envoyaient des combattants à Brazzaville. Des pères ne voulurent plus envoyer leurs enfants. Car, s’indignaient-ils, « paraît-il qu’ils ne font que s’entre-tuer à longueur de journée au lieu de combattre l’ennemi » ! Des incendies tantôt criminels, tantôt accidentels furent un autre sujet d’inquiétude pour les réfugiés. Ces sinistres à répétition ravageaient les abris de fortune, les voitures en stationnement et, surtout, provoquaient de nombreuses explosions des grenades, des chargeurs des mitraillettes ou des mitrailleuses. Tout cela donna à ce village un air de plus en plus apocalyptique. Voici un exemple de ce que fut Kintélé l’abattoir. Vers la fin de la guerre, un combattant nettoyait son arme. Celle-ci par erreur ou par oubli n’était pas complètement déchargée. Une balle sortit, impromptue, du canon. Le combattant entendit une dame hurler de douleur. Il se précipita et conduisit l’infortunée au dispensaire. La plaie fut bandée et ne présentait pas de danger pour l’avenir de la jeune femme. Pourtant, une foule se forma autour du propriétaire de l’arme et exigea qu’il fut mis à mort immédiatement. La foule disait: « Nous en avons assez de vos tueries, le temps est venu de payer ! ». Le jeune homme s’indigna à son tour. « Cette balle aurait pu me tuer moi-même, puisque le coup est parti au hasard. Et puis j’ai montré ma bonne volonté en emmenant la dame à l’infirmerie », se justifiait-il. Il se débattit, fulmina, évoqua son front qu’il venait de quitter comme permissionnaire. Rien n’y fit. La foule avait sa sentence toute faite : la mort. Puis un homme fendit la foule accompagné par des Cobras fortement armés. Celui-ci, grand, maigre, ébouriffé, le visage mangé par une barbe grisonnante, parlait d’une voix rocailleuse lentement articulée. Il portait une combinaison noire des commandos de la police où était nouée une ceinture d’où se balançait négligemment la crosse d’un pistolet. C’était un chef de guerre Cobra, responsable d’un des fronts de Brazzaville. Il venait d’arriver à Kintélé . L’attroupement (au bord de la voie principale) et les vociférations de celui qui criait à l’injustice l’avaient attiré. Après un exposé implacable et sans détour, la foule impatiente et fébrile lui fit l’honneur de choisir la sentence. Il n’eut pas de surprise : la mort triompha une nouvelle fois. Car, avait proclamé le chef de front, il fallait fusiller pour donner l’exemple et dissuader les auteurs d’autres balles perdues. Sur ces entrefaites, on emporta le jeune homme et une décharge atroce mit fin à ses jours. Le corps du malheureux était encore chaud quand la même foule se répandit en plaintes et reproches, s’auto flagellant pour son manque d’humanité. (Fin)
François-Ikkia Onday Akiéra Notification:Non |