![]() Interview. Didier M’Pambia : « La rumba est loin d'avoir dit son dernier mot »Lundi 3 Janvier 2022 - 15:45 Le promoteur du Festival international de la rumba et de l'élégance (Fire) est un grand mélomane mais surtout, dira-t-on, un fervent défenseur de la rumba qu’il affectionne beaucoup sans crainte de se tromper. Heureux d’avoir été du nombre de ceux qui ont bataillé pour obtenir gain de cause, à savoir l’inscription de la rumba au patrimoine immatériel de l’Unesco, il exprime son point de vue quant à ce dans cette interview exclusive avec Le Courrier de Kinshasa. En sus, il parle de ses perspectives pour pérenniser ce patrimoine mondial commun aux Congo.
Didier M’Pambia (D.M.) : Le sentiment de satisfaction du fait d’avoir contribué à quelque chose de pérenne, qui va perdurer pour les générations futures. Cela n’a pas été facile d’en arriver là. Des investissements ont été réalisés, un travail ardu, des nuits blanches, etc. Maintenant nous avons un bien commun, la victoire a plusieurs pères et j’en suis heureux. Néanmoins, mon regard je le projette plus loin. C’est bien que nous ayons obtenu cette inscription de la rumba au patrimoine immatériel de l’humanité, mais ce qui préoccupe en ce moment, c’est ce qui devrait venir après. Il y a encore de nombreux défis à relever. Le premier serait d’avoir des structures d’encadrement de cette musique qui, on ne le dit pas souvent, est un élément de cohésion nationale. En parlant de structures, je pense aux infrastructures à l’instar des salles de spectacle parce que cette musique a besoin des lieux d’expression. Dans le cas de Kinshasa, il faut des maisons de la culture où l’on apprendrait aux jeunes cette musique, les jeunes talents pourraient y exercer leur art. Ce, en veillant aussi sur un volet très important : la formation. Au Brésil, par exemple, il y a des écoles de formation de la samba où l’on apprend ce que c’est. Comment on la danse, quels sont les instruments utilisés, notamment, et il y a même des lieux d’expression dont le Carnaval de Rio. L.C.K. : Selon vous, quelles sont les actions nécessaires à mener à la suite de l’inscription de la rumba au patrimoine de l’humanité, ou comme vous l’avez dit : « Ce qui devrait venir après » ? D.M. : Nous nourrissons à présent l’espoir que partant de cette inscription, l’Etat congolais, le gouvernement et les décideurs comprennent l’enjeu derrière cette musique, ce n’est pas seulement du folklore, comme l’avait dit Didier Mumengi. Il l’a écrit dans son livre, c’est aussi un moyen de développement, de création de richesse au travers de taxes collectées, notamment de sorte à permettre aux artistes de vivre de leur art. Cela fait partie des choses auxquelles il faut s’atteler après cette inscription qui appelle à relever plusieurs défis. Faire en sorte que les droits d’auteur des artistes soient respectés. Voir comment, c’est un projet en gestation, créer un Palais de la culture. J’en avais discuté avec la ministre de tutelle dans la perspective de pérenniser cette mémoire de la rumba, quitte à créer un musée à l’image du Musée de la musique à Paris. Il y aurait, sous un format multimédia, de la musique, les clips, les personnages, les objets ayant appartenu aux légendes, à l’instar de la tenue qu’avait porté Tabu Ley à l’Olympia, les guitares de Luambo, Lutumba ; les œuvres d’art liées à cette musique. Car, la rumba n’est pas que musique ! Il y a tous ses corollaires que sont la mode, la gastronomie, etc., ce sera le lieu où démontrer à quel point elle fait partie de notre culture, de ce que nous sommes. L.C.K. : Comme fervent défenseur de la rumba et opérateur culturel, jusqu’où va votre engagement pour le rayonnement de la rumba ? Avez-vous des projets en perspective pour faire bouger les lignes comme vous le souhaitez ? D.M. : Nous avons démarré il y a quelques années déjà en créant un événement, le Fire. Cela nous conforte à la pensée que nous étions dans le bon en l’initiant et se positionnant parmi les précurseurs de cette lutte pour notre musique. L’inscription de la rumba nous offre une ouverture de sorte qu’au-delà de l’appui que nous pourrions avoir au niveau national, il y a des contacts engagés dans la perspective d’engager des partenariats au-delà de la République démocratique du Congo. Par ailleurs, il y a des produits dérivés, des T-shirts et autres articles ; nous avons aussi réalisé un documentaire diffusé récemment à la télévision. Nous y avons rendu juste un travail de fond extrait d’une partie de notre collecte d’images, témoignages récoltés pendant près de trois ans et demi. Il y a encore beaucoup à faire, notamment faire connaître les jeunes artistes, les autres courants de la rumba. Du reste, il existe, entre autres, cette rumba 2.0 dont on parle, les croisements entre la rumba cubaine et la congolaise. Il reste tellement de choses à faire, des univers à explorer encore au point que je suis très excité à l’idée de tout ce qu’il y a à venir et j’espère vraiment que nous allons permettre aussi aux artistes de vivre de leur art. Et, cela demande essentiellement une loi qui empêche notamment les brasseurs de réaliser des concerts gratuits et de brader l’art. Et, que l’on fasse en sorte d’arrêter ces vendeurs à la sauvette qui vendent les supports piratés de nos artistes musiciens parce qu’avec une population qui avoisine les cent millions d’habitants ou plus, dont éventuellement trente millions de mélomanes consommateurs de musique, je crois que nos artistes pourront bien vivre de leur art. L.C.K. : Fire s’est joint à Rumba parade, le festival commun de l’Institut national des arts et de Wallonie-Bruxelles pour célébrer l’événement. Qu’en est-il de la prochaine édition de Fire, D.M. : Oui ! Comme d’habitude nous donnons rendez-vous aux mélomanes pour trois jours, à partir du 30 juin, jusqu’au 2 juillet. Il est possible, nous l’espérons, que nous ayons des partenaires qui nous permettront d’inviter de grosses pointures internationales, parce que cette grande musique qu’est la rumba ne peut véritablement s’exprimer et grandir qu’en se frottant aux autres genres de musique, à des artistes qui ont beaucoup plus de professionnalisme. Cela permettra à nos artistes de grandir et à notre rumba d’étendre ses tentacules à travers le monde. L.C.K. : Que rétorqueriez-vous à ceux qui ne croient plus en la rumba, soutenant qu’elle est en perte de vitesse, bat de l’aile et s’est fait damer le pion par les musiques venues d’Afrique de l’ouest très en vogue et appréciées partout ? D.M. : Je l’ai dit dans le documentaire, n’importe quel artiste congolais, même le petit musicien du coin invité à se produire en live, jouer en performer, sans emprunter des sons, s’accompagner d’une boîte à musique en compétition avec Davido ou les stars du Coupé-décalé, il va les battre à plates coutures. En fait, la rumba est loin, très, très loin d’avoir perdu son éclat. Au contraire, c’est une musique qui absorbe, enrichit les autres musiques. Elle est l’essence même, à savoir que, comme l’a dit un artiste américain, le jazz et toutes ces musiques contemporaines que l’on entend ont comme source, mère, la rumba. Et, la mère demeure toujours celle qui abreuve, nourrit les autres musiques. La rumba est loin d’avoir dit son dernier mot, surtout qu’avec ses différents dérivés, elle continue de s’améliorer à l’instar du vin qui se bonifie au fil du temps, prend de la teneur, du goût avec l’âge, elle progresse plutôt. C’est la promotion qui fait défaut parce que les moyens ne sont pas conséquents. Prenez un Fally Ipupa avec Universals à ses côtés, les retombées se feront ressentir tout de suite. Et, il faut de la discipline, comme Jean Goubald le disait, le professionnalisme doit être inculqué à nos artistes de sorte à ce qu’ils se conforment aux formats des médias internationaux, radios et télévisions. Lorsque le standard requis est de cinquante-neuf secondes, ils ne doivent pas proposer des morceaux qui font plus que cela, dix minutes, par exemple ! Il y a des œuvres qui ne conviennent qu’au marché local. Pourtant, lorsqu’on veut s’exporter, il faut s’adapter aux normes internationales sans dénaturer notre musique.
Propos recueillis par Nioni Masela Légendes et crédits photo :Photo 1 : Didier M’Pambia, initiateur du Fire / DR
Photo 2 : Fire rend hommage aux acteurs de la rumba / DR
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