Interview. Tony C. Bolamba : « « Je suis consterné par le sabotage des projets d’infrastructures liés à la gratuité scolaire »

Lundi 17 Janvier 2022 - 16:35

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Ancien gouverneur de la province de l’Equateur et actuellement cadre du parti AFDC, Tony Bolamba livre, sans ambages ni circonlocutions, ses impressions sur la marche du pays en commentant certains faits ayant émaillé la vie politique de ces derniers temps. Au menu de cet entretien avec Le Courrier de Kinshasa, l’exécution du projet de gratuité scolaire, le Programme de développement communautaire à la base des 145 territoires, la riposte à la Covid-19, la corruption, les élections, etc.

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K) : Comment justifiez-vous l’échec des politiques publiques initiées dans les différentes provinces qui, visiblement, connaissent un grand retard en termes de développement ?

Tony Bolamba (T.B) : Chaque province a une pègre qui la prend en otage. Les gouverneurs ont des mains liées, ils sont dans l'obligation de servir la mafia au détriment de la population sinon ils perdraient leurs fonctions. D'où leurs difficultés d'initier des grands projets comme je faisais lorsque nous étions gouverneur. Ce courage nous a coûté notre fonction mais avec allégresse pour moi d'avoir servi avec abnégation. Il faudrait aussi des plans d'austérité et un sens républicain et citoyen. Quand je fus gouverneur, par exemple, j'avais mis ma province en austérité, j'avais baissé mon salaire de gouverneur de quinze à cinq mille dollars américains dès ma première rémunération. Je crois être le seul politique congolais à le faire. Nous venons en politique pour servir ! Je suis venu en politique pour servir.

L.C.K : Pensez-vous que le vœu émis par le chef de l'Etat demandant à chaque membre du gouvernement d’initier, dans son secteur, des actions à impact direct et visible sur le vécu des citoyens, soit suffisant pour faire bouger les lignes ?

T.B : La volonté qu'a le chef de l'Etat pour faire bouger les choses y est, mais je ne pense pas qu'elle seule suffit. La majorité des membres de notre gouvernement n'est pas assez outillée pour prendre des initiatives et gérer des projets en adéquation avec le programme du gouvernement. D'où le constat même de l'échec par le chef de l'Etat lui-même dans son dernier discours à la nation ! Nous n'avons plus de temps à perdre, la situation socio-économique du pays est catastrophique.

L.C.K : Plusieurs projets financés en faveur du Grand Kasaï sont restés au stade embryonnaire. Certains conseillers indélicats du chef de l’Etat sont cités dans cette affaire. Quelle attitude pourrait, selon vous, prendre le président de la République face aux égarements récurrents de ses proches collaborateurs ? 

T.B : Le chef d'Etat n'a pas d'amis, il n'a que des collaborateurs ! On ne dirige pas avec ses partisans. En réfléchissant à haute voix, je dirais que le chef de l'Etat puisse se servir de cette maxime de feu président François Mitterand : gouverner, ce n’est pas plaire !

L.C.K : Que pensez-vous du Programme de développement communautaire à la base des 145 territoires, une des recommandations de la huitième session de la Conférence des gouverneurs et comment en assurer la mise en œuvre ?

T.B : Sa mise en œuvre ne pourra être effective que si les mafieux ne s'en mêlent pas !

L.C.K : Le Premier ministre a promis, lors du dernier Conseil des ministres, de redoubler d'ardeur pour que les actions de l'exécutif concernant l'effectivité de la gratuité de l'enseignement soient une réalité palpable. Peut-on considérer cela comme un aveu d’échec ?

T.B : La gratuité de l'enseignement est multiforme. Les infrastructures font nécessairement partie de l'accompagnement de la gratuité de l'enseignement. Le Premier ministre doit conscientiser certains membres de son gouvernement afin de ne pas bloquer ou saboter cette vision qui, rappelons-le, émane du chef de l’Etat !

L.C.K : Quelle lecture faites-vous du processus de matérialisation de la gratuité de l’enseignement de base dans le pays et que faire pour lui donner une nouvelle impulsion ?

T.B : Je suis consterné par le sabotage des projets d’infrastructures liés à la gratuité scolaire. L'Etat congolais a mis en place d’importants moyens pour gagner ce pari. Toutefois, je commence à avoir la conviction, au vu des constats que j’ai pu faire, que certaines personnes, voire des membres du gouvernement, ne partagent pas la même vision que le chef de l’Etat. Actuellement, je suis consterné par la situation liée à la mise en place des infrastructures, indispensables au projet de gratuité scolaire ! Le cas du contrat régulièrement signé le 31 mars 2020 par les différents ministères concernés avec la société Zeidcor est édifiant. Notre pays a signé un contrat avec cette société pour la construction de trois cents écoles de six classes de quarante-deux élèves pour chaque école avec bibliothèque, bureau de direction, salle de professeurs, sanitaire et clôture avec barrière sur 500 m2 livrés clés en main, avec l’octroi d’un échéancier particulièrement favorable à l’Etat congolais (vingt-neuf échéances bimensuelles). Aujourd’hui, en dépit de l’inflation des matières premières, en augmentation de 70% (en matière de transport, un conteneur qui était évalué à 2,500$ lors de la signature du contrat, est passé à 6,700$ à ce jour), la société Zeidcor poursuit le respect de ses engagements en continuant à honorer le contrat et en travaillant alors même que les échéances ne sont plus honorées. Il me paraît, dès lors, légitime de se demander à qui profite le non-paiement de cet échéancier ?

 A ce jour, l'Etat congolais n'a respecté que trois échéances et enregistre un retard de sept échéances, de sorte que la violation de ce contrat met en péril la matérialisation de la vision de la gratuité défendue fermement par le chef de l'Etat. Pourquoi saboter une action du président de la République ? Je laisse cette question ouverte ! Mon aïeul me disait toujours que les empires se détruisaient à la suite des comportements mesquins de leurs princes.

L.C.K : Faisant le bilan de l'exécution de la loi de finances 2021, l'Observatoire de la dépense publique (ODEP) déplore l'aggravation des pratiques de corruption en République démocratique du Congo (RDC). Comment faire pour arrêter l’hémorragie ?

T.B : Malheureusement nous manquons de conscience républicaine et citoyenne dans notre classe politique.  Pour arrêter l'hémorragie, il faut une conscience républicaine populaire afin de sanctionner les bandits de la République. La corruption est institutionnalisée ! Et après analyse personnelle, le président de la République est entouré par certains qui sabotent son action. Malheureusement.

L.C.K : Nonobstant la disponibilité des vaccins contre la covid-19, il s’avère que la couverture vaccinale demeure encore faible en RDC. Comment faire pour susciter des adhésions massives à cette action ?

T.B : Je suis vacciné et j'exhorte notre population à le faire. Il faut une campagne massive du ministère de la Santé publique afin de motiver nos compatriotes à se faire vacciner !

L.C.K : L’on constate ces derniers temps une ruée des anciens caciques du Front commun pour le Congo et alliés vers l’Union sacrée de la nation. Comment analysez-vous ces revirements et quels peuvent en être l’explication sur le plan politique ?

T.B : Il y avait plusieurs frustrations ! Et certains étaient avec l'ancien président Kabila par opportunisme, sans croire à sa vision ! Pour d'autres, on sort l'enfant du ghetto mais on ne sort pas le ghetto de l'enfant !

L.C.K : Etes-vous de ceux qui croient à la réélection de Félix Tshisekedi à la présidentielle de 2023 ?

T.B : La lutte contre la corruption peut justifier le choix des Congolais à refaire confiance au président Tshisekedi. Mais les deux ans ici, le chef de l'Etat doit sanctionner, il y a beaucoup des soupçons de corruption autour de lui. Comment un ministère de Finances peut payer deux fois une créance ? Soit de l'incompétence notoire, soit un hold-up organisé ! Comment certaines créances de 2009 sont payées sans respecter la Lofip ? Le chef de l'Etat est dans l'obligation de revoir tout ça car un électorat peut basculer à tout moment !

L.C.K : L’on note une recrudescence des cas de violence entretenus par les rebelles ougandais de l’ADF à l’est du pays. Comment y remédier ? Et quid des opérations conjointes FARDC- UPDF menées sur le terrain ?

T.B : Plusieurs complicités internes !

L.C.K : Comment évaluez-vous, à ce stade, la mandature africaine de Félix Tshisekedi à la tête de l’Union africaine ?  

T.B : Le chef de l’Etat a fait ce qu’il a pu dans le contexte actuel avec les moyens dont il disposait !

L.C.K : Quels sont les projets politiques de l’AFDC dont vous êtes membre et comment ce regroupement politique se prépare-t-il aux prochaines échéances électorales ?

T.B : Les projets politiques de l'AFDC sont connus : être au service de la population ! Concernant les élections, l'AFDC/A avait levé l'option de soutenir le président Félix Tshisekedi pour la présidentielle et c'est connu de tous !  A d'autres niveaux, l'AFDC/A se prépare en conséquence.

L.C.K : Votre mot de fin….

T.B : Je souhaite les voeux les meilleurs à tous pour cette nouvelle année. A ceux qui pensent que le président de la République est leur exclusivité, je leur rappelle que le chef de l'Etat est de tous les Congolais, même de ceux qui n'ont pas voté pour lui. Il n'est pas le représentant d'un parti à la présidence de la République, il incarne une patrie à la présidence de la République. Il nous reste deux ans pour aller aux urnes, en 2023, faisons des choix judicieux. J'ose croire que les prochaines élections seront transparentes car je pense que cette fois-ci personne ne se laissera faire ! Nous devons continuer à éclairer la cité car nous avons un peuple à sauver et une République à protéger dans la nation. J'ai dit.

Propos recueillis par Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Tony Cassius Bolamba

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