Le revenant de Ngatali (2)Jeudi 10 Février 2022 - 18:28 Dany Gwabira était né à Ngatali où il avait grandi dans l’esprit de l’éducation traditionnelle. Très tôt, entre l’âge de 7 et 8 ans, il accompagnait déjà des aînés en brousse à la chasse, à la pêche, à la cueillette et au ramassage de certaines espèces animales que la nature généreuse donnait en abondance autour de son village. Au fur et à mesure qu’il prenait de l’âge, il avait appris à connaître son environnement sauvage. Le soir à l’heure des contes, il était studieusement accroché aux lèvres des narrateurs des mythes et légendes d’un univers animiste où des protagonistes s’affrontaient autour de l’éternelle question du bien et du mal. Ce fut au cours d’une de ces soirées conteuses qu’il entendit pour la première fois une histoire de revenant. Truffé de sinistres détails, le récit l’effraya et lui inocula une peur des ombres nocturnes qu’il ne connaissait pas jusque-là. Il apprit alors que l’anatomie divisait les hommes en deux groupes selon la constitution de leur estomac. Dans le premier groupe étaient ceux qui avaient un estomac normal, régulièrement constitué. Les personnes classées dans le second groupe avaient un estomac irrégulier bosselé par une doublure. A l’heure de la mort, cette doublure empêchait le corps enfoui sous la terre de pourrir. Ressuscité par une force mystérieuse, il abandonnait la tombe pour acquérir un statut équivoque : il n’appartenait ni à la société des morts, ni à celle des vivants. Il devenait un fantôme, un revenant. Naturellement, cette indécente résurrection n’était pas pour aider la sérénité des vivants troublée par l’apparition de l’invraisemblable. Le monde au sein duquel avait grandi Dany Gwabira était hanté par les revenants et avait jeté la société dans la stigmatisation des familles entières. Dans les villages, on chuchotait dans le dos, on abondait en commentaires morbides contre tel ou tel membre de telle famille. Etait-il clair de peau comme les membres de sa famille ? La sentence était sans appel : toute l’engeance était polluée par le mal ! Etait-il supérieur en esprit ? On menaçait de le déterrer et de le brûler le moment venu ! Dans le cas d’une femme, ses yeux troublaient-ils les mâles ? La réponse était toute prête : c’était une sorcière à l’estomac sans fond promise au feu. Quelqu’un avait-il commis une faute grave ? L’explication était toute simple : c’est la « chose » dont il était affligé qui lui inspirait cette faute. Avant le mariage, les parents des futurs conjoints prenaient un soin particulier à éviter d’introduire la honte dans la famille : on se renseignait sur les origines maternelles de la mère et de la grand-mère des futurs époux. Dans la contrée de Gwabira, le terme estomac est banni du vocabulaire lorsqu’il s’agit de parler de l’anatomie humaine. Il est tabou. On l’évoque uniquement dans le cas des animaux. Une personne qui souffre de l’estomac dira qu’il a mal au ventre. On avoue le mal de l’estomac en désignant le mot estomac qu’en empruntant le terme français « estomac ». Le terme local de ce mot, « i’koundou », emporte sur lui une malédiction que personne n’ose porter. Venu des temps immémoriaux, l’impact social de ce mot « i’koundou » est tel qu’il a fini par immigrer de la sphère de l’anatomie vers celle de la morale pour devenir la ligne de démarcation entre le bien et le mal. En effet, le mort qui fuit les entrailles terrestres pour revenir terroriser les vivants n’est-il pas le symbole du mal absolu ? Le poids de ce mal accable les hommes, lesquels refusent de l’assumer.
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