Evocation : le revenant de Ngatali (10)

Jeudi 7 Avril 2022 - 19:14

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Le jour surprit les gendarmes, les villageois, l’agent de la société S, et le mort à la clairière de la bouche de Bouma où s’arrêtait une savane peuplée de termitières rouges, de taille variée, semées comme des pyramides. A quelques encablures de là, le quartier Bwanga apparaissait sur son monticule comme un nid d’oiseau derrière des branches de palmiers et de bananiers. C’est dans ce quartier, au domicile du défunt Tchonguy, que se joua le dernier épisode de cette nuit agitée. Les gendarmes voulaient corroborer les accusations qui pesaient sur le défunt avec des faits matériels. Ils ne furent pas déçus : on retrouva le voile blanc rehaussé d’un masque noir, des sous-vêtements féminins et d’autres preuves de ses activités criminelles.

Les Ngabouya continuaient de vociférer, ils dénonçaient avec véhémence l’infamie dont on avait recouvert l’honneur de leur clan. Ils demandaient réparation.

Les retombées de l’activité criminelle de Tchonguy furent catastrophiques pour les cultivateurs de tabac. Le lendemain de l’incident et les jours qui suivirent, Jean Pierre ne réapparut pas sur la place du marché. Tous ceux qui n’avaient pas pu écouler les ballots de tabac le premier jour en furent à leur frais. Jean Pierre ne devait plus jamais revenir acheter du tabac à Ngatali. Mis hors de cause par le procureur, applaudi comme un héros par la population, il restait traumatisé par l’incident de la bouche de Bouma et se mortifiait d’avoir donné la mort à un être humain. Des années passèrent, on apprit que la société de tabac n’avait plus de siège à P., elle avait disparu. Dans toute la sous-préfecture de P., la dernière campagne d’achat de tabac fut aussi celle qui se termina en queue de poisson par la faute d’un revenant qui n’en était pas un.

A Ngatali comme dans les villages voisins, la mémoire de Donatien était réhabilitée. On s’apercevait avec retard que celui qui avait terrorisé le village et contribué à la fuite de l’agent de tabac et à ses désastreuses conséquences n’était pas un revenant, le fantôme d’un mort, mais Tchonguy, un marginal qui profitait de la crédulité, de la naïveté et de la lâcheté des habitants pour semer le doute. 

Ngatali était aux prises avec ses vieux démons près d’un quart de siècle après l’affaire Tchonguy qui finit par constater Dany Gwabira en entrant chez son ami Placide Osséré. Il était convaincu que les termes de l’affaire qui l’avait ramené au village avaient la ressemblance des termes de l’affaire Tchonguy. Là-bas, comme ici, un malfaiteur avait braqué l’attention des villageois sur un bouc-émissaire pour expliquer la terreur qu’il instrumentalisait. Là-bas, se disait Gwabira, une intervention providentielle avait permis de contrarier les plans du pervers. Dans sa situation, il était convaincu de l’innocence de son défunt père mais, il n’avait aucune idée, ni aucun profil du sournois qui, agissant dans l’ombre, avait braqué les habitants contre la mémoire de son père. Dès qu’il prit place chez Osséré, il eut l’impression d’être sur la bonne voie. Au quartier Ickinga et dans tout le village, Placide Osséré passait pour un homme ouvert, affable, toujours à l’écoute des autres. Il était, comme on disait, l’œil et l’oreille de Ngatali. Il était toujours au fait du moindre murmure, de la moindre rumeur et même du moindre bruit des affaires qu’on traitait à la sous-préfecture. Lorsqu’il reçut Gwabira, il ne s’attarda pas sur un quelconque préambule et attaqua directement le sujet :

  • Dany, je connais ta susceptibilité. Je présume que ton retour ici est lié à cette histoire de revenant qu’on a jetée à la figure de votre famille.

Gwabira saisit la balle au bond et s’ouvrit à son ami :

  • Je pensais que notre village était définitivement sorti de l’auberge. Souviens-toi quand nous étions enfants, le spectre de Donatien, le violeur masqué, Jean Pierre l’acheteur de tabac, les coups de feu nocturnes, Tchonguy démasqué, Donatien réhabilité et au bout du rouleau plus d’achat de tabac, plus d’argent. Je suis surpris que dans ce village, on reparle encore de revenant après le torrent de salive que nos pères avaient versé, il y a de cela un quart de siècle après la découverte du jeu pervers de Tchonguy.  Les maux que jadis ce bandit causa à nos pères n’étaient-ils pas suffisants pour que nous en créons d’autres à notre époque ?

Il s’interrompit brièvement, mesura le silence de son interlocuteur et reprit :

  • Bon. Hier, Tchonguy avait jeté en pâture aux chiens la mémoire de Donatien pour se venger de lui. C’est la nature des pervers : ils ne reconnaissent jamais le tort qu’ils font aux autres. Mais, mon père, cet homme qui fut de son vivant le symbole de la droiture et de l’altruisme…

Sous l’éclairage d’une lampe-tempête posée sur la table, il vit Osséré lever la main, lui faisant signe de s’arrêter.

Ikkia Ondai Akiera

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