Le revenant de Ngatali (11)

Jeudi 21 Avril 2022 - 20:07

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Dany Gwabira se tut. Son regard se promena entre la main levée qui lui demandait de s’arrêter, la tête ébouriffée de Placide Osseré et la couleur métallique de la lampe-tempête sur le réservoir de laquelle était inscrit le mot « Luciole ». Osseré sembla mesurer le poids du silence qui envahit instantanément le salon où  il était assis face à l’adjudant Gwabira.  Puis sa voix émergea de ce silence chargée de récits de la vie courante de Ngatali dont l’adjudant Gwabira ne pouvait pas ne pas connaître. Osseré disait :

  • Au regard de tous ces procès en sorcellerie qui nous reviennent cycliquement, le moindre doute  n’est plus permis. Plus que nulle part ailleurs, ici, à Ngatali, les préjugés ont la peau dure.  Depuis que les mauvaises langues s’acharnent à salir la mémoire de notre père, ton géniteur, j’ai fini par croire qu’il y a encore plus grave au-dessus des préjugés, qui sème le doute dans ce village, c’est la versatilité. Comment peut-on rayer du souvenir, du jour au lendemain, tous les bienfaits, tous les services que ton père a rendus à la jeunesse de ce village ?

Gwabira l’interrompit en reprenant la parole comme si cette entrée en matière ne l’interessait pas :

  • Placide, les gens sont de tout temps et en tout lieu conformes à ce type de comportement. La sécheresse ne sied pas aux poissons. Les années de gloire du colonel Sondzon sont désormais enfouies dans le passé. Tu voudras que les gens restent fidèles au souvenir de celui qui, grâce à la haute fonction administrative de son neveu, permit à des familles de Ngatali de placer leurs enfants dans les administrations publiques et privées du pays. Mon père était de nature altruiste. Il ne regrettait jamais les largesses de sa générosité. Laisse tomber cette histoire de versatilité. Parle-moi des préjugés. Quels sont les noms de ceux qui attisent les préjugés ? C’est là, le fond de l’affaire. Ce procès en sorcellerie contre mon défunt père n’est pas sorti du néant, il doit y avoir un parti qui instrumentalise à nouveau la peur pour le salir…

Osseré répondit tout de suite :

  • J’espère que tu n’as pas perdu de vue qu’il s’agit, ici, comme dans l’affaire Tchonguy, d’un scénario qui conjugue préjugés et vengeance. Depuis Tchonguy, tu le sais, les revenants ont cessé d’être des morts rejetés du paradis qui règlent des comptes aux vivants. Il faut rester vigilant et démasquer le sournois qui exposent à la haine des vivants la mémoire d’un défunt.

Subitement alerté, l’adjudant s’exclama :

  • Vengeance ! vengeance ! Qu’a fait de mal cet altruiste que fut mon père pour qu’on se venge de lui après sa mort ?

Osseré reprit :

  • Dany ! Souviens-toi, il y a six mois, après la mort de ta tante, les rumeurs de revenante avaient suivi son inhumation. Souviens-toi du soir quand ton père avait parcouru les trois quartiers de Ngatali, en martelant un message selon lequel ses ennemis avaient déclenché un procès en sorcellerie contre sa défunte sœur aux fins de le nuire. Souviens-toi qu’il avait alors exhorté ses ennemis de ne plus continuer dans cette voie, de ne plus porter atteinte à sa pauvre sœur parce que la défunte n’avait rien à voir avec les gens que ton père indexait comme étant ses ennemis. Souviens-toi aussi qu’au cours de cette communication, il avait demandé à ses ennemis d’attendre quand il mourra pour se venger de lui,  s’ils le souhaitaient.

Gwabira ne fut pas long à comprendre la direction prise par le discours de son ami. Ses insinuations étaient précises. Le passé semé d’adultères de Nathaniel Gwabira, son père, était un sujet récurrent dans la famille. Les amours adultérins entre Nathaniel et Anaëlle, l’épouse de Gabriel Elongo du quartier Okondo, avaient provoqué beaucoup de vagues en leur temps.

Pour compenser la stérilité de son mari, Anaëlle avait trouvé en Nathaniel Gwabira la personne qui donnerait le coup de main à son mari pour la permettre d’enfanter. Cette pratique de « coup de main » était courante dans le village sous le sceau du secret. Parfois, le mari trompé fermait les yeux au su et au vu de la cité.  Les choses se compliquèrent quand Justin Elongo, neveu du mari d’Anaëlle, entra dans la vie de cette dernière et se mit à épier ses faits et gestes. Elongo s’estimant être la seule  personne ayant la légitimité à compenser la stérilité de son oncle entra en rivalité avec Nathaniel Gwabira. Pour éloigner le concurrent de la belle, Elongo et son cocu d’oncle accusèrent publiquement Nathaniel de sorcellerie quand Anaëlle fut de nouveau surprise en flagrant délit d’adultère avec son premier amant. Les choses se compliquèrent davantage lorsque les parents de Gawabira s’en mêlèrent en traitant Gabriel Elongo d’ingrat. Ils clamèrent notamment qu’à l’avenir, il était hasardeux de donner « un coup de main » aux maris impotents ou bien stériles. C’était une offense capitale que les deux Elongo et leur suite jurèrent de se venger par tous les moyens. Justin Elongo qui hérita Anaëlle à la mort de son oncle Gabriel ressassait sa vengeance et ne ratait jamais une occasion pour vilipender la maison des Gwabira.

Lorsqu’il quitta Placide Osseré, Gwabira estima qu’il tenait enfin une sérieuse piste qui le conduirait  à la gendarmerie en compagnie des calomniateurs de la mémoire de son père. (A suivre)

 

 

Ikkia Ondai Akiera

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