Le revenant de Ngatali (15)

L’intention de l’adjudant Gwabira de recourir aux armes dans le cas d’une exhumation forcée des restes de ses parents par des individus excités par les Elongo avait provoqué une certaine tension dans le village. Celle-ci monta d’un cran lorsque, le jour suivant, les villageois virent arriver de la capitale, appelés en renfort par Justin Elongo, quatre individus aux mines patibulaires. Parmi eux se trouvait un natif du village, un des fils de Justin Elongo surnommé le Gorille à cause de son impressionnante carrure.

Le soir de l’arrivée de ce renfort, le chef du village parcourut les trois quartiers de Ngatali armé d’une cloche, appelant les uns et les autres au calme. Aucune exhumation des restes mortuaires de qui que ce soit n’avait été autorisée ni par ses soins, ni par aucune famille, clamait-il. Ses efforts ne furent pas vains : les partisans des Elongo abandonnèrent les pelles : l’exhumation forcée de Nathanael Gwabira et sa sœur qu’ils projetaient porterait atteinte à la paix dans le village.

Justin Elongo qui manœuvrait en coulisse pour humilier la famille de son rival défunt n’abandonna pas pour autant la partie. Un autre stratagème aux mêmes vertus fut trouvé. Lorsqu’on on annonça l’arrivée au quartier Okondo d’un certain Iloyi Djoungou, l’adjudant Gwabira comprit que l’autre camp n’avait pas lâché prise. Le fusil avait changé d’épaule mais l’objectif poursuivi restait le même. Iloyi Djoungou, à la tête d’une église pentecôtiste installée non loin de P., était devenu le nouveau Tsa’mbé de la contrée. C’était un jeune homme d’une trentaine d’années avec un regard de feu et une voix tonnante. On lui attribuait des pouvoirs surnaturels : il hypnotisait les revenants et les fous. Il possédait une recette spéciale pour renvoyer les revenants dans les profondeurs des enfers. Pour arriver à ses fins, croyait-on savoir, il offrait aux fantômes un repas fort prisé dans l’au-delà. Une fois rassasié, le fantôme plongeait dans un sommeil synonyme d’une odyssée paradisiaque. Emu par son voyage au pays de la joie éternelle, il s’y installait et renonçait définitivement de revenir hanter les vivants.

 Dany Gwabira ne donna aucun crédit aux prouesses vantées de l’exorciste Djougou : il y voyait un nouveau tour de passe-passe tout aussi humiliant que le premier, que ses menaces venaient d’éventrer. Il jura devant des témoins qu’il n’allait pas tolérer des séances d’exorcisme dans le cimetière de ses parents sous quelque motif que ce soit. Ce nouveau raidissement des Gwabira interpella le chef du village. Celui-ci eut un vif échange avec l’adjudant, son oncle et d’autres membres de cette famille lorsqu’il tenta de requérir leur adhésion à la démarche de l’exorcisme :

• J’ai évité le pire en échangeant les pelles que brandissaient Elongo et ses partisans avec l’arrivée de l’homme de Dieu, Iloyi Djoungou. Il visitera tous les cimetières de Ngatali sans exception et donnera l’ordre à tous les démons de ne plus inquiéter les habitants de ce village.

(A suivre)