Discours de l’ambassadeur de France au Congo, à l’occasion de la célébration de la fête nationale française

Samedi 16 Juillet 2022 - 14:15

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Monsieur le ministre, représentant le gouvernement de la République du Congo, Mesdames et messieurs les ministres,

Chers collègues ambassadeurs,

Chers invités et membres de « l’Equipe France au Congo »,

 Chers compatriotes et chers amis.

Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue à la Case de Gaulle pour cette nouvelle célébration de la fête nationale de la République française.

Permettez-moi, tout d’abord, de m’acquitter d’une agréable obligation, celle de remercier les différents partenaires privés qui nous ont beaucoup aidés à mieux vous accueillir ce soir ; je veux citer :  le Groupe  Bolloré ;  Razel-Bec ;  Géant  Casino ;  le  Groupe  Codimex  ; Bralico ; TotalEnergies ; l’Olympic Palace ; Max Fortune ; Mayo et la SCAB. Il me faut également mentionner, avec un grand plaisir, l’ambassade des Etats-Unis ; merci Eugène !

Dans mon discours de l’année passée, je m’étais efforcé, en dépit de la pesante ambiance sanitaire du moment, de mettre en lumière quelques évolutions positives du monde, dont l’impact bénéfique est malheureusement aujourd’hui, totalement occulté par l’indicible.

Je veux bien entendu parler de la décision irresponsable du président de la Russie de déclencher, au mépris de ses propres engagements et de tous les efforts de conciliation menés par les uns et les autres, une guerre d’invasion  dévastatrice en Ukraine, rallumant ainsi, au cœur de l’Europe, le souvenir d’horreurs que l’on croyait appartenir au passé et foulant aux pieds  les   fondements   mêmes   de   l’ordre    international,   certes   perfectibles,   mais laborieusement élaborés au sortir du second conflit mondial, précisément pour  éviter la réapparition de tels cauchemars.

Alors, j’entends dire, ici ou là, que la responsabilité de ces immenses destructions humaines et matérielles serait finalement, à bien y regarder, partagée entre toutes les parties impliquées de force, par Moscou, dans ce conflit d’un autre âge. En attendant le jugement que l’Histoire rendra sur cette page honteuse, je veux affirmer ici, avec force, que rien, rien, dans l’Europe du 21e siècle, ne peut justifier une telle agression barbare. Rien !

Fallait-il pour l’Europe ne rien faire et laisser ainsi triompher cette manifestation délirante d’une logique de puissance effrénée, fondée sur un révisionnisme historique ravageur ? Bien évidemment non !  Sous   présidence   française, l’Union   européenne s’est  donc mobilisée, comme jamais, pour faire front à cette terrible épreuve :

-  en s’efforçant tout d’abord de maintenir ouvert l’indispensable canal de dialogue avec le président Poutine, afin de tenter, hélas en vain, d’empêcher la guerre, puis d’en obtenir l’arrêt rapide, en vue surtout de sauver des milliers de vies civiles innocentes. Et parce qu’enfin, il y aura bien un « après » à cette guerre et que la Russie sera toujours à sa place…, l’Europe et la communauté internationale ont un intérêt majeur à le préparer au mieux ;

-  en prenant ensuite des sanctions économiques et financières ciblées, d’ampleur inédite

- et excluant les biens alimentaires et les engrais -, afin de rendre insupportable, pour le régime de Moscou, le coût de cette guerre,

-  en apportant, là encore de manière inédite, un soutien militaire direct et massif à un Etat frère agressé et internationalement reconnu, afin d’empêcher sa chute, intolérable ;

- en s’engageant enfin dans l’action collective en vue de réduire l’impact international dramatique de l’agression russe en Ukraine. Je pense à l’initiative française de solidarité « Farm», endossée par l’Union européenne et présentée à l’Union africaine, qui vise, en luttant contre les déséquilibres sur les marchés et en soutenant les productions locales, à assurer durablement la sécurité alimentaire des pays les plus vulnérables.

Monsieur le ministre, mesdames et messieurs,

L’irruption de ce conflit meurtrier a légitimement déclenché une onde de choc planétaire. Dans le sillage de la pandémie qui nous a tous tellement affectés depuis 2019 et des alertes de plus en plus lourdes sur les funestes changements climatiques à venir qui nous forcent, déjà, à repenser en profondeur notre rapport au monde, elle oblige l’Union européenne à avancer pour protéger ses populations et défendre ses valeurs.

 C’est à cet urgent renforcement de la souveraineté européenne, dans tous les domaines, que la France s ’est résolument attelée avec ses partenaires, au cours de sa présidence, afin que l’Union européenne sorte d’une certaine  forme de naïveté pour enfin assumer, unie et solidaire, ses responsabilités de puissance, de partenaire autonome, audacieux et de confiance, d’acteur géopolitique mondial au service de la paix, du droit, de la sécurité et de la stabilité.

Au Sommet de Versailles en mars, puis à Strasbourg en mai, lors de la restitution de la « Conférence sur l’avenir de l’Europe », consultation citoyenne sans précédent, le président Macron a ainsi jeté les bases d’une « nouvelle Europe » fondée sur trois exigences :

-   l’exigence d’indépendance européenne : pour que l’Union européenne soit maître de son destin, soit une puissance ouverte au monde en mesure de choisir ses partenaires, sans dépendre d’eux, des avancées significatives ont été enregistrées en matières commerciale et numérique, de transition écologique, de migration, de promotion des femmes ou encore de défense ;

-   l’exigence d’efficacité : face aux régimes autoritaires qui s’appuient sur le refus de la controverse, les libertés bafouées et les journalistes muselés pour faire croire qu’ils font mieux, l’Union européenne a prouvé qu’elle pouvait réagir vite et efficacement, tout en garantissant le débat démocratique, le contrôle parlementaire et judiciaire, la liberté de la presse. Pour renforcer sa cohésion, la présidence française s’est aussi engagée dans la construction d’une « Europe à taille humaine » au cœur de laquelle se trouve la défense de l’Etat de droit ;

-   l’exigence enfin d’une nouvelle organisation politique : pour renforcer sa capacité d’être aussi efficace en temps de paix, l’Union européenne doit également engager une révision  de ses Traités. Et parce que les Européens ont besoin d’un nouvel espace de coopération, fluide, avec les pays de la famille européenne qui ne sont pas encore membres de l’Union, comme l’Ukraine, une réflexion a été lancée sur une nouvelle « Communauté politique européenne » visant à compléter l’actuel processus d’adhésion, long et à l’issue incertaine.

Monsieur le ministre, mesdames et messieurs,

Dans ce nécessaire travail de « refondation » de l’Europe, dont la brutale agression russe de l’Ukraine a souligné l’urgence, une partie de sa sécurité et de sa prospérité se joue aussi dans les autres grandes aires géographiques. C’est ainsi qu’ont été organisés, sous présidence française, le premier Forum entre l’Union européenn et les pays de l’Indo-Pacifique, ainsi que le 6e Sommet Union européenne – Union africaine, les 17 et 18 février à Bruxelles.

Sur la base de l’existant, c’est-à-dire un partenariat déjà privilégié -il n’est pas inutile de rappeler ici que « l’Equipe  Union européenne » est déjà le premier partenaire de l’Afrique  et ce, dans tous les domaines- d’ambitieux  engagements y ont été pris par les chefs d’Etat africains et européens qui ouvrent la voie à une nouvelle alliance de solidarité partagée entre les deux continents voisins, s’appuyant notamment sur un « paquet d’investissements  » de 150 milliards  € dans les infrastructures et la connectivité durables (« Global Gateway »).

Lors de ce Sommet novateur, les chefs d’Etat ont esquissé une communauté de destin euro-africaine et affirmé leur conviction qu’Africains et Européens peuvent, ensemble, peser sur la marche du monde en élaborant des solutions leur permettant de répondre fort et mieux aux grands défis de demain. Les débats entendus ces derniers mois à l’Union africaine, comme lors du Sommet extraordinaire de Malabo, le 28 mai dernier sur, je cite,

« la promotion du constitutionnalisme, de la démocratie et de la gouvernance inclusive pour renforcer la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique », augurent bien de la mise en œuvre collective de ce véritable contrat de paix et de prospérité adopté à Bruxelles.

Je voudrais aussi saluer l’engagement du président en exercice de l’Union africaine sur le conflit ukrainien. En portant haut et fort, comme il l’a fait auprès du président russe, la voix d’une Afrique victime indirecte de la guerre voulue par Moscou, le président Macky Sall a contribué à renforcer le positionnement du continent africain et accru la légitimité de sa revendication d’être mieux représenté dans les enceintes de la gouvernance mondiale.

Cet engagement d’un dirigeant africain sur un dossier européen est sans précédent. Il est une première illustration, bienvenue, du concept de réciprocité qui est l’un des fondements de ce nouveau « regard croisé » entre l’Afrique  et  la  France, respectueux, co-responsable, apaisé, ambitieux et résolument tourné  vers l’avenir, que le président Macron ne cesse de promouvoir depuis son « Discours à la jeunesse africaine de Ouagadougou », en novembre 2017, en passant par le Sommet sur le financement des « économies africaines de Paris en mai 2021, ou encore le « Nouveau Sommet Afrique-France de Montpellier » d’octobre dernier.

Cette nouvelle approche est pleinement respectueuse d’une Histoire qui est un tout dans sa complexité, un héritage partagé qui ne doit, ni s’oublier, ni se réécrire ou être instrumentalisé. Elle se nourrit également de gestes symboliques, tels que les restitutions de biens culturels, dont je constate avec satisfaction que certain Etats « du Nord », comme l’Allemagne, la Belgique ou encore l’Australie, commencent à s’inspirer. Je pense aussi :

-  à la « Panthéonisation » de Joséphine Baker en décembre 2021 ;

-  aux co-créations en cours, à Paris, de la « Maison des Mondes africains » et, à Johannesburg, de la « Fondation Afrique-France de l’Innovation pour la démocratie » ;

-  ou encore à la récente nomination d’un ministre français, Pap Ndiaye, issu de cette diversité culturelle et de ces diasporas qui font notre richesse commune. Je note que ce ministre a immédiatement exprimé sa volonté de corriger, dans les manuels d’histoire, l’enseignement, injustement sous-valorisé, de l’apport de l’Afrique noire au monde. Il était temps ! Il s’agit là de l’une des conclusions du remarquable Colloque international sur« de Gaulle et Brazzaville » que nous avons organisé ensemble, en octobre 2020.

Alors bien sûr, cet élan de modernité voulu par Paris se heurte encore à l’incompréhension, au scepticisme ou aux sarcasmes de ceux que l’immobilisme arrange, ou rassure faussement. Il répond pourtant à la nécessité de mieux prendre en compte cette Afrique en mutation rapide et de plus en plus engagée sur les grands enjeux mondiaux. Il se construit, jour après jour, avec les acteurs de la société civile qui, ici comme ailleurs, inventent le monde de demain et parmi eux, les femmes qui conquièrent inexorablement de nouveaux espaces d’épanouissement et, comment l’oublier, la jeunesse, qui veut prendre toute sa place dans la conduite du « destin africain » et à laquelle il est de notre devoir impérieux d’offrir une perspective sérieuse d’avenir.

Monsieur le ministre, mesdames et messieurs,

 S’agissant   de nos  deux  pays, le Congo et la France, tellement liés par les  hommes  et l’histoire, ils doivent tous les deux affronter d’importants défis, qui exigent des remises en cause, possiblement douloureuses.

Mon pays doit ainsi absolument entendre l’expression forte, et parfois violente, d’une exigence citoyenne de nouvelle gouvernance, sous peine d’un repli identitaire mortifère, d’une stérile mise en doute permanente de la parole publique et d’un essoufflement préoccupant de la pratique démocratique. L’essentiel de cette réponse me semble se trouver dans le traitement d’une éducation nationale en crise, c’est-à-dire dans  le rétablissement

 de  la  promesse  républicaine  d’égalités  des  chances. Ce retour de l’égalité éducative est la mission première que s’est fixée le ministre Pap Ndiaye, qui personnifie tellement, dans les pas de Félix Eboué, si respecté à Brazzaville, ce que la méritocratie républicaine peut faire de mieux : la promotion par le savoir et le talent, et la valorisation des différences dans l’égalité de tous devant la Nation.

Pour faire reculer ce rejet croissant de la norme commune qu’est la Loi, la démocratie sociale doit aussi se porter au secours de la démocratie politique. La considération, l’écoute et le respect doivent revenir au cœur de l’action publique, afin de répondre, en profondeur et en responsabilité, à la défiance et au sentiment d’abandon qui est celui d’une partie du peuple de France, désorientée par les dérives d’une mondialisation débridée et les excès d’une numérisation (déshumanisation ?) effrénée des services publics, mais aussi face aux impératifs d’une transition écologique que l’on sait désormais inévitable. Il s’agit de définir un nouveau modèle plaçant le progrès social, la justice, le respect de l’environnement et le « vivre ensemble » au cœur d’un Pacte social refondé. Nous ne sommes pas si éloignés que cela de « la participation » défendue en son temps, hélas sans succès, par le général de Gaulle…

Au Congo, le défi qui me paraît essentiel est celui de la diversification économique et du développement inclusif et durable, afin que ce pays « béni des Dieux », a-t-on coutume de dire, valorise pleinement ses remarquables atouts et reste maître de son destin. Le mot cardinal de ce vaste et exaltant dessein me semble être la confiance.

Ici comme ailleurs, la consolidation de cette indispensable confiance requiert les efforts quotidiens de tous les acteurs. Les partenaires du Congo le savent bien, elle passe largement par l’amélioration concrète et durable  du  climat des affaires et du système judiciaire qui en est le garant, préalable premier, avec la stabilité intérieure, de l’investissement créateur d’emplois et de richesses dans l’agriculture, le tourisme vert et mémoriel, ou encore dans le corridor de transports stratégique que le Congo a la chance d’abriter et qui prendra sa pleine dimension avec la construction, enfin en vue, du pont route-rail entre Kinshasa et Brazzaville.

Depuis plus d’une année maintenant, une dynamique, certes encore fragile, est en marche ; les choses bougent, des jalons sont posés dans la bonne direction par les autorités issues du scrutin présidentiel de mars 2021. En sa qualité de premier partenaire du Congo, la France souhaite ardemment, par ma voix, que cet élan réformateur, unanimement salué et résolument soutenu par le Fonds monétaire international et les amis du Congo,  se poursuive  et  s’amplifie au cours de l’année qui vient.

Je voudrais enfin saluer, monsieur le ministre, mesdames et messieurs, les avancées enregistrées simultanément dans nos pays respectifs, dans deux domaines importants :

-  tout d’abord, les droits des femmes et leur légitime promotion dans la société, avec :  au Congo, l’adoption en mars 2022 de la loi Mouébara contre les violences faites aux Femmes, qui pourra, je l’espère, s’appuyer sur le nouveau projet franco-européen de professionnalisation de la police et d’appui à la chaîne pénale, ainsi que sur les efforts réalisés ces derniers mois (sous l’impulsion notamment de Mme Emilienne Raoul, que je salue) pour encourager les femmes à prendre toute leur place dans le monde sans pitié de la politique et en France, la récente nomination d’une  Première ministre, Mme Elisabeth Borne, quelque 30 ans après sa prédécesseure, Mme Edith Cresson et l’élection, pour la première fois, d’une présidente de l’Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet ;

-  puis la lutte contre le changement climatique et la protection de la bio-diversité :  avec les décisions, de l’Union européenne d’être le premier continent neutre en carbone en 2050 et, du G7, de mettre fin dès cette année à tout financement international de projets liés aux énergies fossiles. Ces deux faits traduisent la totale prise de conscience de l’urgence à agir massivement qu’ordonne le dernier rapport du GIEC pour, non plus inverser -nous n’en sommes hélas  plus  là !-  mais  pour  seulement  limiter  l’impact  de  l’inéluctable bouleversement climatique ;

et au Congo, avec la détermination farouche, et maintes fois réaffirmée au plus haut niveau de l’Etat, celui du président Denis Sassou N’Guesso, à défendre mais aussi, après une COP26 jugée décevante, à valoriser sur la scène internationale le véritable trésor de l’humanité que constitue le gigantesque éco-système forestier du Bassin du Congo. Ce magnifique travail de conviction doit naturellement être poursuivi, avec patience et ténacité ; le Congo peut compter pour cela sur le soutien de ses partenaires européens.

Monsieur le ministre, mesdames et messieurs.

Pour conclure de façon plus enjouée, permettez-moi de louer, après d’autres, le remarquable succès qu’a représenté, pour les deux Congo, la décision de l’Unesco, en décembre 2021, d’inscrire la rumba congolaise sur la prestigieuse liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Pour nous tous, une telle reconnaissance s’imposait, tant la rumba n’en finit pas d’apporter aux hommes et aux femmes d’Afrique et d’ailleurs ce petit brin de bonheur qui fait, tout simplement,  que la vie mérite d’être  vécue. Et pour s’en persuader, le groupe qui incarne littéralement la rumba congolaise, je veux bien sûr parler des « Bantous de la capitale », nous fera la joie, dans quelques instants, de nous baigner dans sa musique, à laquelle Rikky Siméon Malonga, qui nous a brusquement quittés le 1er mai dernier, a tellement apporté. Je salue sa mémoire.

Vive la République du Congo ! Vive la France ! Et vive l’amitié franco-congolaise !

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite une très belle soirée./.

                                                                                                                                                                

François Barateau

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