Les confidences d’artistes : Emeraude Kouka, de l’art dans un cœur meurtri

Jeudi 4 Août 2022 - 20:15

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Lorsqu’il se déhanche sur une piste de dance, difficile de croire qu’Emeraude Kouka est un amoureux des livres, une passion suscitée par la pièce de théâtre « Les femmes savantes » de Molière. Charmé par la littérature, l’écrivain-poète congolais s’est donné la mission de partager aux autres ce qui traverse son imaginaire. Depuis 2019, l’auteur de « Hérésiarque toute la lyre » et « À biste de nas » est considéré comme l’un des écrivains les plus prometteurs de sa génération. Dans cette interview décalée et intimiste, Emeraude se confie sur son travail et ses frasques amoureuses. Entretien.

Les Dépêches du bassin du Congo : Comment vous définissez vous ?

Emeraude Kouka (E.K) : Je me définis volontiers, dans ma pratique artistique comme dans la vie de tous les jours, un peu comme l’on dirait d’une personne touche-à-tout. Si, dans mon ordinaire solitude, j’interroge mon âme dans sa nécessité d’être au monde, quand je suis avec ma famille, mes amis et même des inconnus, j’expérimente toutes les curiosités possibles.

Qu’est-ce qui a façonné votre personnalité ?

E.K : La spiritualité et la culture. J’ai cavalé dans pas mal de cercles religieux et de groupes initiatiques, en quête souvent de connaissances nouvelles. Tout cela m’a appris à travailler sur moi, à accepter les différences et à rejeter les opinions systématiques. Les livres et l’art plus globalement m’ont donné une autonomie de pensée et un souci de la pertinence qui influence chacun de mes engagements.

Quel est votre plat favori ?

E.K: le « ngulmumako », viande de porc à la banane vapeur, avec du piment rouge bien écrasé. C’est une spécialité bémbé. Ma mère est bémbé et elle m’a habitué à certaines saveurs depuis l’enfance.

Vous souvenez-vous de votre première histoire d’amour ?

E.K : Oui ! C’est l’histoire qui m’a fait réaliser que les relations que j’avais connues avant étaient des aventures amoureuses, mais pas des histoires d’amour. J’ai vécu en presque un an le ravissement. Nous avons été séparés par des circonstances plutôt impérieuses, j’ai pleuré à chaudes larmes. Depuis lors, chaque nouvelle relation que j’entreprends est l’effort de suture infinie d’un cœur morcelé à la réalité de l’amour. Un vrai tonneau des Danaïdes.

Avez-vous des remords ou des regrets sur un chapitre de votre vie ?

E.K : Au niveau de mon orientation académique, je réalise avec le recul que je me suis trompé de voie. J’ai étudié le droit privé, alors que j’ai une très forte sensibilité politique et administrative. J’aurais aimé étudier le droit public, ça m’aurait sans doute motivé à faire une thèse. Mais quand j’avais mon bac, je voulais être auxiliaire de justice, et le choix que j’avais fait me paraissait évident.

Quels sont vos désirs, rêves et fantasmes les plus fous ?

E.K : Je me vois bien devenir un des plus grands écrivains de notre siècle. C’est audacieux, mais il faut bien rêver ! Et si les moyens m’étaient donnés, je voudrais bien une discussion en tête-à-tête avec Dieu, énigme fabuleuse et désarmante !

Quel est le geste le plus tendre posé à votre égard ?

E.K : Le premier baiser de ma mère à la naissance. C’est une allusion, on le voit bien, à la poésie de Tchicaya U Tam’si, mais c’est réellement un geste avenant, une initiation à l’afféterie, si nécessaire à la construction d’un individu.

Quelle a été votre plus grande déception ? Et quelle est votre plus grande peur ?

E.K : Mourir sans entrer dans l’Histoire. En plus d’avoir la conviction d’être porteur d’une vocation, il me vient tout le temps un truisme : l’humanité est trop vieille et trop dense pour finir dans l’oubli.

Le mercantilisme des éditeurs est ma plus grande déception. Quand j’ai commencé à écrire, je croyais naïvement que le livre échappait à la compromission. Il m’a fallu du temps pour comprendre que c’est avant tout un objet commercial, qui doit générer du profit. On publie un écrivain, d’abord, parce qu’il est vendable. Les qualités littéraires, de plus en plus erratiques, sont subséquentes aux attentes du marché du livre.

Quel artiste musicien écoutez-vous en boucle ce moment ? et quels sont les auteurs qui vous ont fait aimer la littérature ?

E.K : Jon Batiste, excellent musicien de jazz américain, un plaisir pour les oreilles.

Le roman « La palabre stérile » de Guy Menga m’a donné envie de partager un imaginaire et de lire davantage. Mais j’ai un peu moins lu de littérature lors de mes trois premières années de fac, plus porté vers les sciences sociales. C’est une pièce de théâtre de Molière, « Les femmes savantes », qui a ressuscité ma passion pour la littérature, et, depuis, les livres font partie de mon quotidien, au même titre que manger, boire et dormir.

Comment qualifiez-vous votre style d’écriture ? Et Quels sont genres littéraires que vous aimez le plus ?

E.K : Coruscant. Cet adjectif, je pense, prend en compte la singularité de mon vocabulaire, l’usage que je fais des tropes et mon travail sur la syntaxe. J’aime la poésie, le roman et l’essai. Le ravissement, le voyage et la pensée. Le théâtre, je prends plus de plaisir à le voir sur scène qu’à le lire. Les nouvelles, moins denses que les romans, ne m’accrochent pas beaucoup. Elles ne me laissent pas cultiver l’intimité que je recherche avec une histoire.

Dans tout livre, il y a le sujet apparent et le sujet profond. Quels sont les sujets profonds de vos deux ouvrages « Hérésiarque toute la lyre », et le dernier « À biste de nas » ?

E.K : Ma poésie est essentiellement lyrique. Elle naît toujours de l’exaltation d’une émotion forte, d’un sentiment. C’est une approche qui donne à ma subjectivité une affectation, à tout le moins, pompeuse, et me permet d’aborder tous les thèmes possibles, depuis les plus classiques comme le spleen, l’amour, l’érotisme, l’inanité de la vie, la mort, la nature, le beau, jusqu’aux plus contemporains et même plus engagés. Dans mon premier recueil, j’évoque l’absurdité de la crise politique qui a secoué le département du Pool en 2016. Dans le deuxième, j’attaque la langue de bois et les sophismes des dirigeants politiques, quand ils doivent donner des réponses claires aux problèmes, le caractère saugrenu de pas mal de mesures de restrictions liées à la pandémie de covid, et le plafond de verre ressenti par les jeunes, forcés d’aller trouver le « bonheur » dans un autre pays.

Entre votre premier recueil, « Hérésiarque toute la lyre », et le dernier, « À biste de nas », que vous avez publié, sentez-vous une évolution ? Ecrivez-vous différemment ?

E.K : Il y a une nette différence, en effet. Le premier recueil est plus laborieux, le recours aux archaïsmes y est plus marqué et les vers, pour la plupart, sont écrits en alexandrin. Il y a donc un ton, qui est marqué par le rythme du vers fixe, séparé des hémistiches, avec des rimes. Le deuxième recueil allie la prose au vers libre, et comporte des textes plus limpides, écrits à la billebaude.

Les écrivains sont guidés par la passion. C'est elle qui leur permet d'accéder au génie, d’après vous. Qu’est-ce que la littérature doit à l'empire des passions ?

E.K : Je dirais la fuite devant l’idéal, chère à de nombreux chef d’œuvres de la littérature, à l’instar de La princesse de Clèves de Madame de La Fayette, un classique du 17e siècle. La passion fait naitre, dans la narration, des protagonistes forts avec le jeu des mésalliances et donne un caractère intemporel au récit. Mais c’est assez rebattu aujourd’hui. Il faut une bonne dose de créativité pour pouvoir mettre la passion au cœur d’une grande œuvre au 21e siècle. On vit dans un monde où tout a quasiment été écrit, et de manière non moins géniale !

Quel est votre rapport à la réalité ? et quelle devrait être la place de l’écrivain dans la société actuelle ?

E.K : La réalité est la fiction que je n’ai pas inventée, et dont les grilles de lecture se trouvent autant dans la banalité du quotidien que dans l’œuvre humaine avec tout ce qu’elle comporte. Quand j’écris une fiction ou un poème homodiégétique, c’est toujours le réel que je recherche à travers ma capacité à le réinventer. Dans le quotidien des gens. Accorder une place au livre, à la littérature, dans sa vie, c’est honorer l’œuvre des écrivains et, surtout, travailler à son épanouissement.

Quel est le dernier livre pour lequel vous avez eu un coup de cœur ?

E.K : La « nomenklatura », un vieil essai politique de Michael Voslensky, qui parle d’une classe aristocratique au sein d’une Union soviétique pourtant communiste. C’est d’autant plus intéressant que ça défait les poncifs des hérauts du marxisme-léninisme, et ça renseigne sur les dessous de la pratique du pouvoir.

Des projets en vue ? côté cœur et en littérature ?

R : Côté cœur, je poursuis mon parcours sisyphéen. En littérature, je peux parler de la parution d’un troisième recueil de poèmes dans quelques mois, certainement en 2023. La date exacte sera connue en temps voulu. Il y a aussi un roman, mais dont je ne peux pas, à ce niveau, préciser la période de publication.

Propos recueillis par Durly Emilia Gankama

Légendes et crédits photo : 

Photo: L'écrivain- Poète Emeraude Kouka

Notification: 

Non