Crises oubliées en Afrique : quand l’indifférence devient une politique mondialeJeudi 5 Juin 2025 - 0:15 Le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme. Dans son rapport publié le 3 juin 2025, l’organisation non gouvernementale (ONG) scandinave pointe une vérité dérangeante : les crises humanitaires les plus graves ne sont pas nécessairement les plus visibles ni les mieux financées. Sur les dix situations de déplacement les plus négligées au monde, huit se trouvent en Afrique. Le Cameroun et le Burkina Faso arrivent en tête d’un classement qui en dit long sur l’épuisement, voire l’abandon, de la solidarité internationale envers le continent. Le Cameroun, emblème d’un oubli structurel Le cas du Cameroun illustre parfaitement cette dynamique de marginalisation. Trois crises coexistent et se nourrissent : la guerre contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, le conflit séparatiste dans les régions anglophones et l’instabilité à la frontière avec la Centrafrique. Résultat : plus de 3,4 millions de personnes ont un besoin urgent d’aide humanitaire, mais moins de la moitié des financements nécessaires a été mobilisée. L’analyse du NRC est sans appel : la couverture médiatique est quasi inexistante, les diplomaties occidentales brillent par leur silence, et l’indifférence internationale est devenue la norme. Cette situation crée un dangereux précédent : ce qui n’est pas médiatisé n’est pas financé, ce qui n’est pas financé finit par sombrer dans l’oubli. Une aide internationale en recul, une Afrique en souffrance Au-delà du Cameroun, le rapport 2024 montre que les priorités humanitaires du Nord ne coïncident plus avec les besoins du Sud. Des pays comme l’Éthiopie, le Mali, le Mozambique ou encore la République démocratique du Congo sont en proie à des conflits internes, à des déplacements massifs et à une insécurité alimentaire croissante. Pourtant, le financement international s'effondre : en 2024, seuls 45 % des besoins humanitaires mondiaux ont été couverts - un niveau historiquement bas. Le NRC rappelle que le déficit de financement humanitaire global ne représente qu’environ 1 % des dépenses militaires mondiales. Autrement dit, ce n’est pas une question de moyens, mais de choix politiques. La tentation isolationniste des pays donateurs Le recul de la solidarité internationale ne s’explique pas uniquement par une « fatigue humanitaire ». Il s’inscrit dans un contexte géopolitique marqué par un retour à des priorités nationalistes, en particulier dans les anciennes puissances donatrices. Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier dernier, Donald Trump a gelé l’aide extérieure américaine et démantelé l’Usaid, privant le système humanitaire mondial d’un acteur central. L’Europe, quant à elle, augmente ses budgets militaires face aux tensions avec la Russie, au détriment de ses engagements envers le Sud global. Pour Jan Egeland, secrétaire général du NRC, le virage introspectif de l’Occident équivaut à une trahison. « Au moment où les populations vulnérables ont le plus besoin de soutien, les pays riches leur tournent le dos », estime-t-il. Une hiérarchie mondiale de la souffrance ? En filigrane, la question qui se pose est celle d’une hiérarchisation des crises. L’Ukraine, Gaza ou Taïwan dominent l’agenda politique et médiatique, mobilisent les chancelleries, les ONG et les chaînes d’information en continu. À l’inverse, les conflits en Afrique centrale ou au Sahel, pourtant parmi les plus meurtriers et les plus anciens, ne suscitent ni émotion publique ni action politique soutenue. Ce déséquilibre repose en partie sur une faible médiatisation, mais aussi sur une perception implicite selon laquelle les drames africains seraient « chroniques », donc moins urgents. Ce cynisme, parfois inconscient, mine le principe même d’universalité de l’aide humanitaire. Quelle réponse face à l’indifférence ? Face à cette marginalisation, plusieurs pistes d’action émergent. D’abord, renforcer les capacités locales pour ne plus dépendre exclusivement des bailleurs internationaux. Ensuite, mobiliser les diasporas africaines comme relais d’influence et de financement. Enfin, il devient impératif de réformer la gouvernance humanitaire mondiale, pour intégrer davantage les acteurs africains dans les mécanismes de décision et de répartition des ressources. Le rapport du NRC ne se contente pas de dresser un constat. Il lance un appel à la conscience collective. En ne réagissant pas à temps, la communauté internationale risque non seulement d’abandonner des millions de vies, mais aussi de favoriser des cycles d’instabilité qui auront, tôt ou tard, des répercussions globales. Noël Ndong Notification:Non |