Le saviez-vous ?: Augusta Bolé, la sculptrice invisible qui a fait rayonner l’âme des femmes congolaises dans le monde

Jeudi 5 Juin 2025 - 20:01

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Dans l’histoire de l’art congolais, on parle souvent de grands peintres, de musiciens, de légendes ou de poètes engagés. Cependant, nombreux parmi nous ne connaissons pas Augusta Bolé, artiste sculptrice qui a su manier le bois, le bronze, la pierre dans un milieu presque exclusivement masculin. Cette pionnière a marqué son époque sans jamais chercher les projecteurs.

 

Née dans les années 1950 à Brazzaville, dans une période encore marquée par les derniers soubresauts de la colonisation, Augusta Bolé grandit dans un environnement modeste mais riche en influences culturelles. Entre les marchés opulaires de Ouenzé, les contes de sa grand-mère et les objets rituels vus chez les anciens, elle développe très tôt une sensibilité artistique tournée vers le symbolique et le sacré.

Mais à l’époque, pour une fille, la sculpture est presque un tabou. Travailler le bois ? Inconcevable. Tenir un burin, frapper la pierre ? Inadmissible. Ce sont des choses « d’hommes », réservées aux initiés. Augusta Bolé n’écoute pas. Elle observe, apprend en silence, se fabrique ses premiers outils avec les moyens du bord. Elle sculpte des morceaux de bois tombés des chantiers, taille des formes, donne vie à des silhouettes.

Contre toute attente, elle est repérée par un enseignant français en poste à Brazzaville, qui l’encourage à formaliser sa pratique. Grâce à une bourse, elle part étudier les arts plastiques à l’École des Beaux-Arts de Paris, une première pour une Congolaise sculptrice à cette époque. Elle se forme au travail du bronze, de la pierre, du métal, tout en restant profondément enracinée dans l’esthétique spirituelle kongo.

Son œuvre est inclassable: mi-rituelle, mi-moderne. Elle sculpte des femmes aux corps robustes, aux visages fermés mais dignes, aux postures verticales, presque religieuses. On y lit la souffrance, la maternité, l’exil, la colère aussi. Elle puise dans les codes des nkisi (statues fétiches), des totems protecteurs et des formes liées aux cosmogonies du Congo.

Augusta Bolé ne cherche pas la gloire. Elle n’est ni mondaine ni commerciale. Elle préfère transmettre. Elle ouvre dans les années 1980 un petit atelier à Makélékélé, puis à Bacongo le deuxième arrondissement, où elle forme une nouvelle génération de jeunes artistes, filles comme garçons. Certains d’entre eux deviendront des noms reconnus, mais elle, reste volontairement dans l’ombre.

Pourtant, ses œuvres sont exposées dans de grandes capitales : Dakar, Montréal, Bruxelles, Abidjan, Luanda. Elle a représenté le Congo dans des biennales africaines et des galeries spécialisées dans l’art contemporain. Elle a même participé à une exposition au Musée du Quai Branly, à Paris, sans que son nom ne soit mis en avant.

Aujourd’hui, très peu de ses œuvres sont visibles à Brazzaville. Certaines dorment dans les réserves du Musée national. D’autres sont conservées dans des collections privées, parfois même à l’étranger. Pourtant, son travail mérite d’être montré, célébré, étudié.

Augusta Bolé, c’est l’histoire d’une femme qui a sculpté sa place dans un monde qui n’en voulait pas pour elle. Une femme qui a transformé le bois, le métal, la pierre… en mémoire, en combat, en beauté. Une femme invisible, mais essentielle.

Jade Ida Kabat

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