Royaume-Uni /Afrique : David Lammy redessine la carte d’une nouvelle relationJeudi 12 Juin 2025 - 10:00 Le chef de la diplomatie britannique, David Lammy, incarne un repositionnement stratégique du Royaume-Uni en Afrique, fait de promesses d’investissements, d’engagements contre les flux financiers illicites et d’interventions ciblées dans les crises humanitaires. Un virage assumé, encore à l’épreuve de la réalité. « Écouter plus, imposer moins », tel est le nouveau mot d’ordre de Londres. Selon David Lammy, la Grande-Bretagne ne veut plus être perçue comme un "donneur", mais comme un "partenaire d’investissement". Le Royaume-Uni promet de mettre fin à une tradition d’aide descendante, pour mieux s’ancrer dans les priorités africaines : climat, finance, éducation, énergie, technologie. Dix milliards de livres sterling sont mobilisés via l’Ukef, l’agence de crédit à l’export britannique, tandis que la British international investment monte en puissance. Des outils puissants, certes, mais des résultats encore attendus sur le terrain. Lutte contre les flux illicites : de la rhétorique à l’action ? Sur les 90 milliards de dollars que l’Afrique perd chaque année dans les flux financiers illicites, une partie transite par les paradis fiscaux britanniques, rappelle Mo Ibrahim. David Lammy reconnaît l’ampleur du problème et promet une riposte : nomination de Margaret Hodge comme championne anti-corruption, activation de la National crime agency, et renforcement de la transparence dans les territoires d’outre-mer. Mais la méfiance demeure. Des promesses ont déjà été faites sous David Cameron, sans grande rupture depuis. Cette fois-ci, David Lammy jure des « résultats d’ici à quatre ans ». Un délai qui pourrait s’éterniser sans volonté politique claire. Soudan, visas, APD : des contradictions assumées Sur le plan diplomatique, David Lammy affiche un engagement personnel sur le Soudan, qualifié de "pire crise humanitaire actuelle". Une conférence coorganisée à Londres a permis de mobiliser 800 millions de dollars, dont 120 du Royaume-Uni. Mais l’ambition humanitaire se heurte aux coupes sévères de l’aide publique au développement (APD), passée de 0,7 % à 0,3 % du RNB. Si le ministre défend une vision plus « économique » du développement, les organisations non gouvernementales dénoncent une baisse d’engagement envers les pays les plus fragiles. Même contradiction sur le système de visas : David Lammy le juge lui-même trop cher et complexe, tout en promettant des « simplifications ». Des ajustements marginaux ne suffiront pas à effacer une image perçue comme hostile envers les mobilités africaines qualifiées. Le Maroc, vitrine d’une stratégie encore en rodage Le partenariat renforcé avec le Maroc, signé début juin, fait figure de vitrine. Onze protocoles d’accord, 5 milliards de livres de financements, soutien au plan d’autonomie pour le Sahara, reconnaissance mutuelle des diplômes, coopération sécuritaire…, tout y est. Mais cette réussite, aussi stratégique soit-elle, reste un cas isolé. Elle illustre ce que Londres est capable d’offrir, sans dire ce qu’il est prêt à faire pour des pays moins « stables » ou « stratégiques ». Une relance crédible ou un “soft reboot” sans effets ? Le Royaume-Uni tente de redéfinir son rôle en Afrique dans l’après-Brexit, entre ambitions économiques, diplomatie de valeurs et pressions migratoires internes. David Lammy propose une nouvelle rhétorique, plus respectueuse, plus ciblée. Mais la réussite de ce repositionnement dépendra moins des annonces que de leur mise en œuvre, surtout dans des contextes fragiles où l’APD, les visas, ou la lutte contre la corruption restent des points de crispation. Un partenariat "nouvelle génération" ne se décrète pas : il se construit. Et pour l’heure, le Royaume-Uni avance sur une ligne de crête, entre crédibilité retrouvée et défis persistants. Noël Ndong Notification:Non |