Rufisque : la France cède un bastion militaire stratégique, le Sénégal entame un virage souverainMardi 1 Juillet 2025 - 20:52 Sous pression de dynamiques africaines postcoloniales, Paris entame un retrait militaire ordonné du Sénégal. Une recomposition stratégique lourde de sens dans un contexte régional instable. C'est une page d'histoire qui se tourne à Rufisque. Le 1er juillet, la station d'émission interarmées française, en fonction depuis l’indépendance du Sénégal en 1960, a été officiellement rétrocédée à cet État. Cette cession s’inscrit dans un processus progressif de retrait des forces françaises du territoire, qui devrait être achevé d'ici à la fin de l'été. « Le Sénégal et la France entament une nouvelle ère de partenariat fondé sur le respect mutuel, la souveraineté partagée et la coopération stratégique », a déclaré l’ambassade de France dans un communiqué. Cette base, gérée par la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information, assurait jusqu’ici lescommunications stratégiques de la France sur l'ensemble de la façade atlantique Sud. Son abandon marque donc plus qu'un simple geste symbolique : il s’agit d’un retrait d'un maillon stratégique du dispositif militaire français en Afrique de l'Ouest. Une reconfiguration militaire aux multiples enjeux Les Éléments français au Sénégal, présents officiellement depuis 2011 mais héritiers directs des Forces françaises du Cap-Vert, constituaient un poste avancé clé dans le maillage militaire français postcolonial. À leur apogée, ces emprises servaient d’escale logistique, de centre de commandement régional et de formation des forces locales dans le cadre du programme Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix. « Ce retrait progressif s’inscrit dans une dynamique plus large d’affirmation souveraine des États africains et de redéfinition des partenariats sécuritaires », analyse le politologue sénégalais Boubacar Ndiaye. Le retrait de Rufisque suit celui des emprises Maréchal et Saint-Exupéry en mars, puis du quatier contre-amiral Protêt au port de Dakar en mai. Restent l'escale aéronautique de l'aéroport militaire et l'emprise du parc de Hann, toujours actives mais concernées par la même feuille de route de rétrocession. L’Afrique de l’Ouest redessine ses alliances Ce retrait intervient dans un climat géopolitique tendu en Afrique de l'Ouest, marqué par la montée du sentiment anti-français, le retrait de Paris du Mali, du Burkina Faso, du Niger, et plus récemment, les discussions houleuses au Tchad. « Cette transition illustre une volonté croissante des pays africains de maîtriser leur sécurité sans tutelle extérieure », observe une source diplomatique européenne à Dakar. Le président Bassirou Diomaye Faye, élu en mars 2024 sur un programme de souveraineté nationale renforcée, incarne cette génération de leaders africains en quête de rapports plus équilibrés avec les puissances occidentales. Son discours à Séville, lors de la Conférence des Nations unies sur le financement du développement, a mis en avant une Afrique "partenaire et non supplétive". En marge de la conférence, le président français, Emmanuel Macron, a salué "un partenariat en pleine refonte" qui permettra de "servir les intérêts de nos peuples et de notre souveraineté ". Intelligence économique : répercussions au-delà du militaire La recomposition militaire a des implications économiques, technologiques et diplomatiques profondes. La station de Rufisque, en particulier, hébergeait des équipements sensibles de transmissions stratégiques. Sa rétrocession pourrait signaler un recentrage des moyens français sur des zones d'influence réduites, par exemple, à Djibouti ou à Abidjan. Pour Dakar, la récupération de ces infrastructures pourrait renforcer ses capacités souveraines en télécommunications militaires, tout en valorisant le foncier et les infrastructures à des fins civiles ou industrielles. Vers une nouvelle matrice sécuritaire africaine ? Cette évolution s’inscrit dans un contexte de recomposition du paysage sécuritaire africain, avec une montée en puissance : des partenriats avec la Turquie, la Chine et la Russie; de solutions de sécurité panafricaines (ex. : Force en attente de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, ambitions renouvelées de l’Union africaine) ; et d’une volonté politique croissante d’africainisation des politiques de défense. Mais cette dynamique pose aussi des défis : les capacités logistiques, le renseignement, la coordination régionale et la lutte contre le terrorisme transfrontalier demeurent largement dépendants des partenariats internationaux.
Noël Ndong Notification:Non |