Gabon /Ali Bongo brise le silence à Paris : vers une bataille judiciaire à portée géopolitique

Vendredi 4 Juillet 2025 - 3:53

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Dans un contexte post-coup d’État complexe, l’ancien président gabonais Ali Bongo a été entendu par la justice française sur les conditions de sa détention après sa chute en août 2023.

Ce dossier, à l’intersection du droit international, de la géopolitique régionale et des enjeux franco-africains, pourrait devenir un précédent juridique lourd de sens. Le 1er juillet 2025, Ali Bongo Ondimba, président déchu du Gabon, a été auditionné au tribunal judiciaire de Paris par deux juges du pôle « crimes contre l’humanité ». Statut : partie civile. Objet : séquestration arbitraire, tortures et détentions illégales commises selon lui par le nouveau régime militaire, arrivé au pouvoir après le coup d’État du 30 août 2023. « Dix-huit mois à deux dans un sous-sol, sans soins, sans lumière, sans liberté », déclare Me François Zimeray, avocat de la famille Bongo, décrivant les conditions de détention présumées de Sylvia Bongo et de leur fils Noureddin, également plaignants.

Justice française saisie, coopération incertaine

La plainte, déposée en mai 2024, a conduit à l’ouverture d’une information judiciaire contre X pour enlèvement, séquestration en bande organisée et actes de torture. Les avocats ont transmis une liste de suspects présumés, et des mandats d’arrêt internationaux pourraient être émis si Libreville refuse de coopérer. Officiellement, les autorités gabonaises affirmaient que Ali Bongo était « libre de ses mouvements ». Mais selon ses proches, l’ex-chef de l’État était en résidence surveillée, coupé du monde, sous haute surveillance. « Cette affaire est aussi une question de vérité d’État. Elle interroge la capacité d’une nouvelle junte à rompre avec les pratiques qu’elle dénonçait », analyse Jean-Baptiste Mattei, ancien diplomate français en Afrique centrale.

Une saga familiale aux ramifications politiques et financières

Ce dossier judiciaire s'ajoute à un autre front sensible pour la famille Bongo : l'affaire des biens mal acquis en France, dans laquelle onze membres de la famille sont mis en cause. Cette enquête, ouverte en 2010 et clôturée en mars 2025, porte sur un patrimoine estimé à plusieurs centaines de millions d’euros (hôtels particuliers, voitures de luxe, comptes bancaires). Le Parquet national financier doit rendre prochainement ses réquisitions, possiblement un tournant. Dans le contexte gabonais, cette double affaire judiciaire - humanitaire et économique - fragilise la crédibilité du régime militaire de Brice Oligui Nguema, même si ce dernier a promis un procès équitable à Sylvia et Noureddin Bongo, désormais libérés sous contrôle judiciaire et exilés en Angola.

Réactions officielles : silence diplomatique et prudence stratégique

Du côté des autorités gabonaises, le silence prévaut, si ce n’est un démenti catégorique des accusations de torture émis par le général Oligui Nguema en mars dernier. Paris, de son côté, observe une réserve, refusant tout commentaire direct sur une procédure judiciaire en cours, tandis que l’Union européenne, bien que discrète, suit le dossier à travers ses canaux diplomatiques et juridiques. « Le traitement judiciaire réservé à un ancien chef d’État africain par une juridiction européenne pose aussi la question de la souveraineté, du droit d’ingérence judiciaire et des équilibres post-Françafrique », rappelle Chloé Roussel, chercheuse à l’IRIS.

Droit, diplomatie et influence

Ce feuilleton judiciaire s'inscrit dans une recomposition plus large des relations euro-africaines, où la judiciarisation croissante des affaires politiques africaines pourrait servir de levier d’influence - ou devenir un piège diplomatique. Il illustre également une tension fondamentale : comment concilier rupture avec les régimes autoritaires passés, stabilisation militaire post-putsch, et respect des droits fondamentaux, dans un environnement où les lignes de force géopolitiques sont mouvantes.

 

Chiffres & Dates clés

  • Coup d'État au Gabon : 30 août 2023
  • Plainte pour séquestration : mai 2024
  • Clôture de l’enquête sur les biens mal acquis : mars 2025
  • Audition d’Ali Bongo à Paris : 1er juillet 2025
  • Détention estimée de Sylvia et Noureddin Bongo : 18 mois
Noël Ndong

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