Afrique : 155 000 morts en dix ans, l’insécurité islamiste s’étend et se transforme

Jeudi 14 Août 2025 - 21:21

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 La violence attribuée aux groupes islamistes militants atteint des sommets en Afrique, entre expansion territoriale, gains technologiques et fragilité accrue des États.

En une décennie, 155 000 morts ont été attribuées aux violences islamistes militantes sur le continent africain. En 2025, cette menace a atteint un nouveau pic de létalité avec 22 307 décès, en hausse de 60 % par rapport à la période 2020–2022. Trois régions concentrent 99 % des morts : le Sahel, la Somalie et le bassin du lac Tchad. Cette étude est l’œuvre du Centre d’études stratégiques de l’Afrique.

Sahel : un effondrement sécuritaire

Avec près de 10 700 morts cette année, le Sahel reste l’épicentre de la crise. Le Burkina Faso concentre 55 % de ces décès, suivi du Mali, où 81 % des 17 700 morts recensées depuis 2010 ont eu lieu après le coup d’État de 2020. La perte de contrôle territorial est massive : seulement 40 % du territoire burkinabè est sous contrôle gouvernemental, et environ 950 000 km² sont hors d’accès à l’autorité étatique dans la région, soit l’équivalent de la Tanzanie. Deux groupes dominent : le JNIM, affilié à al-Qaïda, et l’EIGS, lié à Daech. Le JNIM, actif au Mali et au Burkina Faso, contrôle de vastes zones et emploie de nouveaux moyens technologiques comme les drones et les engins explosifs improvisés, rendant la menace plus sophistiquée. Fait marquant : les forces maliennes et leurs alliés russes de Wagner/Africa Corps ont tué plus de civils (6 058) que les groupes djihadistes eux-mêmes (5 708) depuis 2021. Cette répression nourrit le discours de légitimation des groupes tels le JNIM, qui se présentent comme « protecteurs » des populations peules visées.

Somalie : l’insurrection se mondialise

En Somalie, 7 289 morts sont à déplorer en 2025. Al Shabaab, lié à al-Qaïda, reste la force dominante avec jusqu’à 200 M$ de revenus annuels. L’organisation bénéficie désormais du soutien opérationnel des Houthis du Yémen, ce qui lui a permis d’améliorer ses capacités de frappe, y compris avec des missiles balistiques et des drones. La montée en puissance de l’État islamique en Somalie (ISS) inquiète également. Cette branche locale, désormais dotée de 1 000 combattants, agit comme centre financier et logistique pour Daech au niveau global, selon les Nations unies. Pour la première fois, ses opérations ont causé 1 065 morts cette année.

Bassin du lac Tchad : résurgence tactique

Le bassin du lac Tchad, où sévissent Boko Haram et l’ISWA, enregistre 3 982 morts, soit une hausse de 7 %. L’ISWA, de plus en plus structuré, a pris d’assaut quinze bases militaires au Nigeria cette année, utilisant vision nocturne et drones armés. Le pays a vu une augmentation de 18 % des morts, principalement dans l’État de Borno. La violence s’étend à de nouveaux territoires. Deux groupes, Lakurawa et Mahmuda, opèrent dans le Nord-Ouest du Nigeria, zone auparavant dominée par les « bandits ». Leurs liens avec des groupes sahéliens comme l’EIGS inquiètent les autorités.

Zones secondaires : signaux faibles à surveiller

  • Mozambique : la menace islamiste y a chuté de 85 % depuis 2021 (330 morts cette année), mais l’ASWJ reste actif. Les forces rwandaises peinent à sécuriser le Nord, et près d’un demi-million de personnes demeurent déplacées.
  • Afrique du Nord : les incidents sont en baisse (17 morts en 2025), mais la présence résiduelle de cellules djihadistes en Algérie et en Libye illustre le risque de reconfiguration régionale à partir de combattants revenant de Syrie.

Une menace en recomposition

L’évolution géographique et technologique des groupes islamistes militants en Afrique souligne leur résilience et leur capacité d’adaptation. Leurs financements, leurs alliances (notamment transcontinentales), et leur ancrage territorial menacent désormais la souveraineté effective de plusieurs États, notamment au Sahel.

Implications stratégiques 

  • L’inefficacité des réponses militaires unilatérales fragilise les régimes en place.
  • La fragmentation des groupes complexifie toute stratégie de stabilisation.
  • La coopération sécuritaire internationale devient urgente, notamment pour stopper les flux d’armes, de combattants et de financements.

« Ce n’est pas uniquement un enjeu africain. La militarisation asymétrique des groupes islamistes militants menace aujourd’hui la stabilité de toute la bande sahélo-saharienne et les corridors maritimes mondiaux », explique un analyste du Centre d’études stratégiques de l’Afrique.

Noël Ndong

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