Cameroun : quand la désinformation numérique devient une arme électoraleMercredi 22 Octobre 2025 - 15:30 Une fausse alerte d’évacuation attribuée à l’ambassade de France illustre l’essor d’une guerre cognitive en pleine crise post-électorale. Alors que le Cameroun est suspendu à l’annonce des résultats officiels de l’élection présidentielle, une fausse alerte de grande ampleur a jeté le trouble dans l’opinion publique. Un faux communiqué, prétendument émis par l’ambassade de France, appelait les ressortissants français à quitter le pays dans un délai de 72 heures. Relayée massivement sur WhatsApp, Facebook et TikTok, l’infox a atteint plus de 500 000 vues, alimentant les peurs dans un climat déjà tendu. La réaction de l’ambassade n’a pas tardé. Dans un message publié mardi soir sur sa page Facebook officielle, elle a formellement démenti avoir émis une telle communication. « Ces faux comptes ne constituent pas des communiqués officiels (...). Il s’agit d’une fausse information à visée malveillante », peut-on lire. Mais derrière cette rumeur virale, se dessine une stratégie plus inquiétante : une guerre de l’information, exploitant les failles numériques et les tensions politiques internes. Une offensive numérique dans un contexte explosif L’épisode survient alors que plusieurs candidats, dont l’ex-ministre Issa Tchiroma Bakary, s’autoproclament vainqueurs, accusant le pouvoir de fraude électorale. Des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes (Douala, Yaoundé, Garoua), exacerbant le climat d’incertitude. Dans ce contexte, la diffusion d’une fausse alerte diplomatique agit comme un catalyseur : elle suggère une perte de confiance internationale, accroît le sentiment d’instabilité, et fragilise l’image du pays. Pour un analyste en sécurité régionale, il s’agit là d’une « tactique de guerre hybride moderne, où l’information devient une arme aussi puissante qu’un fusil ». Un phénomène régional bien rodé Le Cameroun n’est pas un cas isolé. En mai 2025, une manipulation similaire a visé l’ambassade de France en Côte d’Ivoire, alors que le pays traversait un débat houleux sur la réforme constitutionnelle. Ces campagnes suivent une logique de fragmentation : affaiblir les liens diplomatiques avec Paris, discréditer les autorités nationales, et faire pression sur les opinions publiques. À mesure que l’influence française recule dans plusieurs pays du Sahel et d’Afrique centrale, ce type de désinformation devient un levier pour des acteurs – internes ou externes – désireux de remodeler les rapports de force géopolitiques. Des impacts bien réels Au-delà du virtuel, les effets sont tangibles. Rumeurs d’évacuation riment avec frilosité des investisseurs, ralentissements logistiques, repli des organisations non gouvernementales et annulations de projets. Selon une source proche d’une Chambre de commerce européenne à Yaoundé, « ce type de manipulation peut provoquer un effet domino dévastateur pour les secteurs clés de l’économie comme le BTP ou les télécoms ». Une guerre cognitive bien installée Le cas camerounais révèle une tendance de fond : la montée en puissance de la guerre cognitive dans les États à vulnérabilité informationnelle élevée. Le terrain numérique devient un espace de confrontation stratégique, où la perception est la première cible. Comme le souligne Véronique L., chercheuse en intelligence économique à l’Université de Genève : « Les ambassades ne sont plus de simples acteurs diplomatiques. Elles incarnent désormais des symboles de stabilité nationale. Les attaquer, même symboliquement, revient à ébranler l’architecture politique d’un pays ». Alors que le Cameroun retient son souffle dans l’attente des résultats, une autre bataille est déjà en cours – silencieuse, insidieuse, mais redoutablement efficace : celle de la maîtrise de l’information. Dans les rues comme dans les réseaux, l’avenir du pays se joue désormais à double niveau. Noël Ndong Notification:Non |