Poésie : étude critique du recueil de poèmes « Danse des silhouettes »

Jeudi 30 Octobre 2025 - 20:47

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Deuxième parution de Sauve-Gérard Ngoma Malanda après le recueil « Rêves sur cendres » publié aux Editions L'Harmatan-Congo en 2011, Danse des silhouettes a été honorée par Jacques Chevrier, le préfacier, et Gabriel Mwene Okoundji, le postfacer.

 

Paru cette année aux Editions Ndze, au Cameroun le recueil de 82 pages, Danse des silhouettes, se divise en deux grandes parties contenant chacune un prologue, un épilogue et douze poèmes écrits en vers libres. En effet, si Orphée séduisait par son chant les animaux quand les hommes restaient insensibles à son art, Sauve-Gérard séduit les hommes par ses mots pour les rendre sensibles à sa parole. Il  parlerait une langue à part, emploierait des mots inconnus des hommes comme le montre le bannissement du poète de la République idéale de Platon.

Octavio Paz résume cette pensée par la phrase : «  Les hommes se servent des mots ; le poète les sert », révélant ainsi l'idée d'un langage commun utilitaire, et celle d'un langage poétique différent, et presque sacré. Nous examinerons donc le langage poétique de Sauve-Gérard et son rapport avec le sacré. Si le langage poétique de Sauve-Gérard est différent du langage commun. C’est d'abord parce qu'il est souvent plus noble, plus précieux.

Alors, du prologue Danse ma vie où l’auteur compare la vie à  « un panier à serpents », à « un panier à crimes » et à «un panier à verbes » où il a « vu ses rêves prendre des coups à bout portant »…, il demande de se vêtir de lumière et marcher sur des pierres brutes pour une quête visée.

Depuis Homère, les poètes désignent plus volontiers le lever du jour par « l'aurore aux doigts de rêve » que par la sonnerie du réveil. De belles lèvres seront de « corail et un sein d'albâtre pour les adeptes de la beauté qui trône dans l'azur comme un sphinx incompris ». Charles Baudelaire, La beauté, dans Les Fleurs du mal.

Sauve-Gérard emploie alors des mots rares, ou même en invente, tel Stéphane Mallarmé dans le sonnet « Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx ».

Dans Les silhouettes de l'espérance, l'auteur se demande si le temps a bu de la ciguë, car il vient de plus loin que la source du fleuve qui irrigue ses rêves… De la lumière de l’âme du jour à croître, « d’autres oiseaux d'autres siècles reprendront...». Pour cela, que nous restera-t-il encore ?  L'auteur nous invite à lire les hautes saisons futures, à traverser des fétiches au cœur et des gilets para-amour afin de découvrir ce qui nous reste.

Pourtant, à cette conception hautaine et précieuse de la poésie, répond une conception plus « commune ». Des mots aussi simples et « non poétiques » que « mémoire fragile » ou « silhouette » sont employés par l'auteur. Plus encore, ce sont des expressions et des mots familiers qu'on trouvera sous la plume d’Henri Michaux : « triturer », « engueuler » ou «  saucissonner » ne seront plus bannis de la langue poétique. C’est que depuis Arthur Rimbaud, il est permis de parler en poésie «  d’ulcère à l'anus » (Dans le poème « Anadyomène  Venus »). Dès lors, il semble difficile de différencier le langage utilitaire par un lexique particulier : il n'y a pas de mots poétiques, et de mots qui ne le soient pas, il n'y a que des emplois différents des mêmes mots.

Car l'emploi poétique des mots relève effectivement d'un travail sur leur matière. Travail phonétique tout d'abord, où les mots vont jouer entre eux par leurs sonorités, ce qui est rarement le cas dans la langue de tous les jours : « La vie est un panier à serpents » comme pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes est un exemple frappant. Ce travail de Sauve-Gérard déborde alors le cadre du mot pour s'étendre à la phrase tout entière. C'est la syntaxe traditionnelle qui va être remise en question, comme c'est le cas dans la poésie dite « hermétique », chez Stéphane Mallarmé.

En un mot, le travail poétique de Sauve-Gérard porte sur les expressions les plus courantes pour les détourner de leur sens premier. Tel est le cas de ces vers « J'ai pissé dans la bouche de l'amour », « Un prétendant pour rivaliser », « Laissez mes silhouettes se vêtir de la vie », «Je n'ai jamais connu vos joies »...

Le langage semble alors relever d'un emploi particulier du commun, où les mots ne sont plus considérés comme des outils, mais bien sacralisés.

Dans Danse des silhouettes, Sauve-Gérard ne s'est pas servi des mots comme le font les hommes, mais bien, il les a servis. Sa poésie s'invente alors une langue propre, inaccessible au commun des mortels, parce que trop éloignée du langage ordinaire. Plus encore, il s’érige comme une véritable religion des mots et de la beauté, dont les prêtres s’appelleront Tchicaya Utamsi, Jean-Baptiste Tati Loutard, Sony Labou Tansi, Dominique Ngoy Ngala… Enfin, elle transforme le langage en un objet sacré qu'elle vénère, tentant même de retrouver par sa parole les accents de la Bible, au moyen de rythmes amples, utilisés par le poète français Saint-John Persé (Prix Nobel de Littérature en 1960), ou de réceptions litaniques, Comme par exemple chez le poète Pierre Oster.

En détournant le langage utilitaire de son sens premier, le poète ne fait pas qu'inventer une nouvelle langue, il fait aussi souvent sourire à « Toi qui es bonté Née de l'amour de Dieu Elevée par la vertu de Marie... ».

« …, Nous avons pris le temps de nous regarder. La vie est un panier à complots

Nous avons pris l’un pour l'autre. Feignant d'ourdir mille crimes sur le dos des uns des autres. Avec l'illusion de berner le monde comme des vrais politiques... »

Si la poésie peut être conçue comme un jeu, c'est en particulier parce qu'elle est d'abord pour Sauve-Gérard une source de plaisir. Roland Barthes dans Le plaisir du texte montre à quel point cette fonction de la littérature est essentielle. Pour l'auteur, la poésie est le véhicule d'un message. En s'engageant, le poète en fait un outil idéologique, comme pendant la guerre, sous les plumes de Paul Eluard. Sauve-Gérard en fait aussi un outil de contestation esthétique, brisant les vieilles traditions du vers à la fin du XIXe siècle. L'auteur, dans sa poésie, a servi alors aussi bien à faire plaisir qu'à éduquer, et sera finalement porteur de civilisation.

Sauve-Gérard Ngoma Malanda est dans un siècle, au même titre que Gabriel Mwènè Okoundji et les autres poètes. Il tient de ce siècle un discours particulier. Si son langage paraît différent, il ne l'est en fait guère plus que le langage technique des ingénieurs, ou la langue de bois des hommes politiques. Et par rapport à ceux-ci, il a le mérite supplémentaire d'être beau…Utile, Sauve-Gérard, l'est tout autant que l'artisan ou le paysan; seul son matériau est différent, mais c'est le matériau universel de l'homme, le langage. Et sans doute faut-il être Sauve-Gérard pour l'entretenir.

Par Ninelle Josiane Balenda-B.

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