Du Bénin au Sahel : une même fracture politico-militaire en Afrique de l’Ouest

Jeudi 18 Décembre 2025 - 10:46

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La tentative de coup d’État déjouée au Bénin s’inscrit dans une trajectoire régionale cohérente, reliant États côtiers et pays sahéliens autour d’une même dynamique.

Niger : le putsch comme rupture stratégique assumée

Au Niger, le coup d’État de juillet 2023 a marqué un basculement décisif. Contrairement au Bénin où la chaîne de commandement est restée loyale au pouvoir civil, les forces nigériennes ont assumé une prise de pouvoir totale justifiée par l’argument sécuritaire et la lutte contre le terrorisme. Le Niger illustre un point clé : lorsque l’armée devient l’acteur central de la survie de l’État, elle tend à se percevoir comme seule détentrice de la légitimité nationale. Ce narratif, aujourd’hui largement diffusé dans la région, nourrit des velléités similaires dans les États encore constitutionnels, y compris au Bénin.

Burkina Faso : la militarisation extrême du politique

Le Burkina Faso représente l’étape suivante : un État où le politique est désormais entièrement subordonné à la logique militaire. Le capitaine Ibrahim Traoré incarne une gouvernance de guerre permanente dans laquelle la mobilisation nationale contre le terrorisme justifie la suspension prolongée des mécanismes démocratiques. Cette situation crée un effet d’attraction idéologique. Le discours burkinabè - souveraineté, rejet des élites civiles, valorisation de l’armée comme incarnation du peuple - circule largement dans les imaginaires militaires régionaux. Pour des officiers frustrés ou marginalisés ailleurs, ce modèle apparaît comme une alternative crédible à l’ordre constitutionnel classique.

Guinée-Bissau : l’instabilité chronique comme norme

La Guinée-Bissau occupe une position particulière. Ici, le putsch n’est pas une exception mais un mode récurrent de régulation du pouvoir. Le coup d’État récent et le rejet par la Cédéao du calendrier de transition proposé par la junte illustrent une faiblesse structurelle de l’État et une armée historiquement politisée. Ce cas montre que l’échec prolongé de la réforme du secteur de la sécurité (RSS) crée un terrain propice à des cycles répétés de ruptures institutionnelles. À la différence du Niger ou du Burkina, il ne s’agit pas d’un projet idéologique fort, mais d’une captation opportuniste du pouvoir.

Le Bénin : un État côtier sous pression sahélienne

Le Bénin se situe à l’interface de ces trajectoires. État côtier encore stable, il subit néanmoins les contrecoups directs des crises sahéliennes : expansion jihadiste vers le golfe de Guinée, circulation des armes, porosité des frontières et diffusion des discours anti-élites. La tentative de putsch révèle que même les démocraties réputées solides ne sont plus étanches à ces dynamiques. La différence fondamentale reste la cohésion de la hiérarchie militaire et la capacité de l’État à agir rapidement avec des alliés régionaux (Nigeria) et internationaux.

Une Cédéao fragmentée face à une menace systémique

Ces quatre cas révèlent une fracture régionale profonde. D’un côté, des États sortis du cadre communautaire (Niger, Burkina Faso, Mali), qui revendiquent une souveraineté sécuritaire militarisée. De l’autre, des pays comme le Bénin et la Guinée-Bissau, encore dans l’espace Cédéao mais fragilisés. La réponse régionale reste incomplète. Tant que la sécurité, la gouvernance et l’économie ne seront pas traitées conjointement, la tentation putschiste continuera de circuler comme une solution perçue - mais illusoire - aux crises de l’État.

Du Sahel au golfe de Guinée, l’Afrique de l’Ouest vit une recomposition politico-militaire majeure. Le Bénin n’est pas un accident, mais un avertissement. La stabilité régionale dépendra moins de sanctions que de la capacité des États à réconcilier armées, citoyens et légitimité politique, sous peine de voir l’exception démocratique devenir l’exception tout court.

Noël Ndong

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