Art : l’Histoire comme matière premièreVendredi 24 Juillet 2015 - 20:19 Moridja Kitenge est jeune. Pourtant il ne saurait pas dire s’il appartient à la nouvelle génération d’artistes contemporains, ou à l’autre. En tout cas, il travaille avec l’Histoire. Ou plutôt le passé qui construit le présent.
Un peu plus loin dans la galerie, on découvre l’installation vidéo Hymne à nous. Sur l’écran, trente Moridja Kitenge nus chantent sur l’air de l’Ode à la joie (hymne de l’Union européenne) de Schiller, un mélange des hymnes congolais, belge, français et un bout de discours du roi Léopold II. Chacun de ces éléments forment l’identité de l’artiste «J’ai étudié l’Histoire française et belge en étant au Congo, l’Histoire allemande parce que j’ai fait de la musique classique… j’ai appris tout ça en étant Africain. Un Français, un Belge ou un Chinois peut se retrouver dans ma situation. Toutes ces identités s’empilent sur moi, me forment sur un socle congolais. Me représenter nu fait écho aux guerriers lubas : je descends de cette culture et j’ai appris que les hommes se battaient nus et en chantant. C’est ainsi que j’ai voulu me représenter : me battre pour avoir mes identités plurielles tout en étant Congolais». De Kinshasa à Montréal Ces thématiques identitaires et culturelles ne sont évidemment pas laissées au hasard : Moridja Kitenge est né à Kinshasa, il y a fait les Beaux-Arts, a enseigné à Lumumbashi avant de s’envoler pour Nantes en France et compléter sa formation. «Il y a une complémentarité dans mes enseignements. À Kinshasa à la fin des années 1990, j’ai reçu un enseignement très académique où on m’a appris à recopier les tableaux des maîtres, à tenir un pinceau, l’anatomie exacte d’un corps humain. Je suis arrivé à Nantes en 2002, je ne faisais plus beaucoup de peinture, on nous apprenait à parler du travail artistique. L’essentiel, c’est la philosophie autour du travail. J’ai aussi fait un échange à l’Université Laval (Québec, Canada- NDLR), c’était un mélange de Nantes et Kinshasa. J’ai eu une vision de trois écoles avec trois façons d’enseigner différentes.» Intégration ou cohabitation ? Moridja Kitenge se présente comme un heureux et riche mélange de toutes les expériences qu’il a vécues. À travers ses œuvres manifestes, il interroge sa propre histoire, son identité et la notion Les thématiques de Moridja Kitenge sont profondes et intègrent une réflexion globale. «Je pars du principe que je suis un artiste et que je viens d’un continent qui a des problématiques. Donc je ne vais pas passer ma vie à peindre des fleurs et des paysages. Les questions que je me pose sont mes œuvres et mes œuvres sont mes questions ». Comment vit un artiste cosmopolite ? Moridja Kitenge est le premier à sentir les problématiques qu’il soulève. À qui la faute ? Il ne vise personne mais un système en général. «On est beaucoup passé par des centres culturels français, c’est bien ça qui a permis à des artistes de voyager mais ce sont souvent les mêmes, comme des porte-parole d’un art contemporain africain. Résultat : c’est ce que les commissaires étrangers recherchent. On m’a dit que j’avais trop vécu en Europe, que mon art n’est pas assez «africain» et ici à Montréal c’est l’inverse. Le plus important pour moi est que l’on aime mon travail pour ce qu’il est et non pour son origine, exactement la démarche adoptée par Joyce Yehouda.» Une nouvelle matière de réflexion pour l’artiste qui travaille actuellement sur la série de dessin «I’m not Exotic, you are not stupid» (Je ne suis pas exotique, tu n’es pas stupide- NDLR) où il se mettra en scène masqué, convoquant la tradition, l’art et les origines, avec ironie.
Morgane de Capèle Légendes et crédits photo :Photo 1: Moridja Kitengue
Photo 2: «Banque du Canada» Notification:Non |