Kettly Noël : « Contemporanéité ne signifie pas absence de tradition »

Samedi 24 Juin 2017 - 0:15

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La 71e édition du festival d’Avignon fait une place considérable à la danse contemporaine africaine, un secteur en pleine mutation. Infatigable, la chorégraphe Kettly Noël est un témoin majeur de l’évolution de ce secteur. Depuis de nombreuses années, elle s’est engagée dans la formation et le développement chorégraphique des jeunes danseurs à qui elle s’adresse sans détour.

Les Dépêches de Brazzaville : Quel regard portez-vous sur l’évolution de la danse contemporaine en Afrique et de celle de la jeunesse montante ?

Kettly Noël : Il y a une très belle évolution. Il y a des danseurs qui trouvent leur singularité. Mais trouver sa singularité n’est pas quelque chose d’acquis immédiatement. C’est quelque chose que l’on acquiert après des années.  Les danseurs cherchent singularité, particularité alors qu’ils ont plutôt besoin de temps.

D’autre part, nous avons créé une histoire avec les rencontres chorégraphiques d’Afrique et de l’Océan indien, « Danse l’Afrique danse ». Il y a eu un moment.  Aujourd’hui, les jeunes danseurs ont juste besoin de comprendre que le chemin est long, bien qu’il peut être rapide pour certain. Mais, je pense qu’ils n’ont pas encore compris que c’est un engagement à vie. Ils estiment que tout est fini une fois qu’ils ont quelques dates de tournée, un programmateur blanc. Et ils travaillent beaucoup pour s’exporter. De notre temps, on travaillait parce qu’on avait l’amour de l’art. Aujourd’hui, tout le monde a besoin d’être quelqu’un. S’il y a quelque chose que je leur dirai c’est de travailler tranquillement. Non pas pour les autres, mais pour soi et pour se dépasser soi-même. 

LDB : Ces quinze dernières années, avec les rencontres chorégraphiques, on a vu de belles carrières se faire et se défaire. Une réalité qui révèle la réelle fragilité de certains danseurs qui sans être aguerri voulaient à tout prix participer aux concours, répondre aux exigences extérieurs, plaire aux programmateurs, gagner et faire des tournées. La biennale n’a-t-elle pas participer à une sorte de formatage ?

KN : Malgré elle, la biennale avait fait ce formatage. Après toute ces années d’expériences, j’ai constaté que les danseurs avaient tendance à aller dans la même direction que les autres, parce qu’ils se disent que c’est ce qui marche. Quelque part ils n’ont pas compris que lorsque l’autre a déjà fait, il faut se réinventer.

LDB : Cela exige de transmettre une certaine profondeur à travers les formations qui leur sont donnés, au-delà de l’aspect purement technique …

KN : On ne peut pas se permettre uniquement de transmettre des mouvements du corps et une certaine technicité. Il faut également l’accompagner sur le plan intellectuel, sur le plan social. La formation c’est aussi les aider à comprendre ce qu’est un théâtre, ce qu’est être sur scène, comment tenir, comment durer. Et cela est valable pour toutes les formes d’art. 

LDB : Alors comment dure-t-on ?  Et c’est quoi la durée ?  

KN : La durée n’est pas uniquement une trouvaille. C’est aussi une attitude, un comportement, une façon d’être et de vivre. Dans la durée, tu deviens la matière même de ta créativité. Ce n’est pas facile à transmettre parce qu’on rentre dans le domaine de l’artiste. L’artiste étant celui qui donne son âme, son corps et tout son être. Et qui devient cette chose 

LDB : Entendent-ils et comprennent-ils ces choses ?

TN : Ce sont des enseignements qu’on leur inculque au quotidien. C’est parce qu’il n’y a pas cette tendance à aller chercher chez les autres. Je vois arriver aujourd’hui une tendance que je n’avais pas entendue dans mon adolescence, selon lequel on doit laisser la place aux jeunes.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Les vétérans, les plus confirmés voleraient-ils la place aux plus jeunes ?  C’est un truc complètement aberrant, parce qu’il n’y a pas de place. Il n’y a aucune place.  Chacun va apporter sa petite singularité à la chose. Et tout le monde peut cohabiter.

LDB : Enfin, à une époque où les choses vont si vite, quelle est la place de la tradition dans la démarche créative contemporaine ?

K.N : Contemporanéité ne veut pas dire absence de tradition et création ne veut pas dire respect de sa tradition, s’enfermer dans sa tradition ou ne pas s’autoriser des libertés pour aller chercher ailleurs. Quand je prends la pièce de Serge Aimé Coulibaly (Kalakuta Républic, NDLR), elle véhicule une certaine forme de tradition qui n’est pas forcément la tradition traditionnelle ancestrale mais qui est une tradition de notre culture. Parler de Fela et revivre son espace est une forme de tradition. La tradition, elle se fabrique, elle se transforme et se déplace. La tradition n’est pas quelque chose de figer, elle est en constante évolution. Elle est déplacement et réinterprétation. La tradition d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui.

Prenez mon cas. Qu’est-ce que je fais-moi, en tant qu’haïtienne ici (Au Mali) ? Elle est où ma tradition ? La tradition malienne, ouest-africaine et africaine devient mon actualité. Certains disent que je suis noyé dans tout cela. Cependant d’autres estiment que je suis complètement haïtienne. Moi, je pense que je porte les deux en moi. Il n’y a pas un truc que je fais où il n’y a pas mon Haïti dedans et où il y a pas mon Afrique dedans. Ils sont toujours en train de se croiser, de s’entrechoquer, de se regarder et de se détacher pour mieux se retrouver.

Propos recueillis par Meryll Mezath

Légendes et crédits photo : 

Légende photo 1: Portrait Kettly Noël; Crédits photo: Antoine Tempé Légende photo 2: Kettly en spectacle ; Crédits photo: DR

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