Un pagne, une ville, un créateur : le fabuleux destin de ”Kôko Donda”

Samedi 29 Juillet 2017 - 10:07

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Dans le temps, ce « pagne des pauvres » était appelé « le malheur frappe à ta porte »  ou  « ton mari ne travaille pas »…mais depuis le début du mois d’avril 2016 lors du défilé privé de la marque Basem'Sé, le pagne a conquis les cœurs des amateurs de la mode du Burkina. Il est devenu un symbole de Bobo-Dioulasso, la capitale économique du « pays des hommes intègres » et a pris sa place au côté du légendaire pagne tissé Faso Danfani  lancé par Thomas Sankara dans les années 1980. Le jeune styliste burkinabé, Sébastien Bazemo dit Bazem’Sé, lui a donné une nouvelle vie et une nouvelle place dans la société burkinabé . Entretien:

Les Dépêches de Brazzaville : Comment avez-vous découvert ce pagne?

Bazem'Sé: Au village de ma grand-mère, j'ai vu ce pagne attaché autour des reins des femmes, mais je ne l’avais  jamais vu en ville... Ma mère m'a expliqué qu’on appelait ce pagne en langue Dioula ou Malenké : « tchati barala », ce qui signifie « ton mari ne travaille pas » ! Le pagne était destiné aux villageois, aux pauvres cultivateurs, abordable pour offrir à leurs femmes. Ça m'a interpellé et j’ai pensé donner une autre vie, une autre couleur à ce pagne. J'ai choisi de le rebaptiser Kôkô Donda, du nom d'un quartier de Bobo où j'ai vu plusieurs femmes produire ce pagne avec leur coeur et leur âme, malgré des recettes modiques. À l'époque de mon enfance, un pagne coûtait 125 francs, j’ai ainsi eu ce rêve de donner une nouvelle vie à ce pagne pour apporter quelque chose à ces mères qui sont depuis des décennies en train de se battre pour aider leurs famille.

On n’aurait même pas pu offrir ce pagne à une femme en ville, elle allait s’offenser et retourner le cadeau – tellement c'était mal vu et associé aux classes sociales inférieures.

LDB : La nouvelle vague de popularité a-t-elle changé le pagne ?

Bazem'Sé: Bien sûr ! À l'époque, le pagne n’avait que 2 couleurs : vert et violet mais aujourd’hui on le trouve dans toutes les couleurs et variétés. Aujourd’hui, la première dame, l'épouse du président de l’Assemblée nationale et les femmes les plus riches du Burkina veulent porter ce pagne, de la jeune fille à la grande mère. Et ça fonctionne dans toutes les styles : en tenue de soirée, en tenue de ville, en tenue de tous les jours et même en robe de mariage !

Je vois des jeunes filles le porter en mini-jupe pour se rendre en boite. Aujourd’hui, c'est devenu à la mode alors qu’à l'époque, excepté certaines vieilles du village qui l’attachaient autour des reins, on l’utilisait à peine pour se couvrir dans la rue... C'est incroyable ! À ce jour, le prix atteint 5.000 F ou même 10.000 F pour 2 pagnes. Les femmes productrices me bénissent et c'est une fierté pour moi !

LDB : Kôkô Donda va-t-il concurrencer Faso Danfani ?

Bazem'Sé: Les deux pagnes sont parfaitement complémentaires et tous les deux défendent l'honneur du Burkina. Le Faso Danfani est tissé artisanalement tandis que le Kôkô est teinté de façon artisanale. Le Faso Danfani est plus cher et n'est pas accessible à tout le monde. Pour ma part, je mélange les deux pagnes dans mes créations.

LDB : Vous attendiez-vous à un tel succès?

Bazem'Sé: Non pas du tout ! Ça m'a surpris. J’ai voulu apporter ma touche mais le succès et la popularité m’ont dépassé. Sur une période d’à peine 15 mois, le pagne a conquis les burkinabés. Et je les connais bien. Ils n’adhèrent pas si facilement a quelque chose de nouveau.

Ma plus grande fierté c'est d’entendre les mamans productrices me dire : « On arrive à subvenir à nos besoins, inscrire nos enfants à l'école, même acheter des terrains et des parcelles avec les revenus, grâce à la popularité et aux prix augmentés ». Elle me parlent avec les larmes aux yeux et ça me fait vraiment chaud au cœur.

LDB : Vous habillez en Kôkô Donda beaucoup de célébrités ?

Bazem'Sé: Les acteurs de cinéma, les musiciens internationaux, les politiciens, les chefs d'États et les premières dames. Il fallait passer par les célébrités pour booster cette nouvelle mode.

LDB : Sans Kôkô, ce n'était pas possible de lancer la Bobo Fashion Week ?

Bazem'Sé:  La Bobo Fashion Week c'était aussi un rêve impossible à réaliser sans Kôkô. Les autorités de Bobo sont très enthousiastes car ils ont vu combien ce pagne rapporte à la ville, à sa prospérité et sa notoriété. Je crois que pour l'édition de 2018, ils sont prêts à mettre la main profondément dans la poche !

 

 

Propos recueillis par Sasha Gankin

Légendes et crédits photo : 

1: Le créateur burkinabé Bazem'Se présentant sa collection en ”Kôko Donda” lors du défilé de la Bobo Fashion Week 2: Le pagne ”Kôko Donda” 3: Une commerçante du pagne ”Kôko Donda”

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