Couleurs de chez nous: fracture linguistique

Samedi 28 Octobre 2017 - 10:16

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

On a longtemps parlé de « fracture sociale », surtout lors des campagnes électorales. On parle de plus en plus de « fracture numérique ».

Dans le premier cas, il s’agit d’un constat amer sur la société avec, d’un côté, les « nantis » et, de l’autre, «les pauvres » ou les modestes aux revenus incertains ou précaires, donc incapables de faire face aux défis du quotidien. Le second cas épouse les couleurs des temps actuels, essentiellement dominés par les nouvelles technologies. L’homme du présent se juge par sa présence sur la toile et, partant, par sa capacité à communiquer.

Pourtant, à l’instar de ce qui est dit ci-dessus, il n’est pas exagéré de parler désormais de « fracture linguistique » ou culturelle si l’on étend plus loin la réflexion. Cette fracture est plus prégnante au Congo. Ici, les enfants qui parlent la langue de leurs parents se comptent du bout des doigts. Quelles sont ces langues ? Sans toutes les citer, on a, du sud au nord du pays : le vili, le bembe, le sundi, le dondo, le kongo, le yaka, le téké, le gangoulou, le moye, le mbochi, le kouyou, le mbéré, le makoua, le mboko, le kwele, le ndjem, le sangha sangha, le nguili, le yasua, le bomitaba, l'enyelle, le mbondjo, le mbendjele, le likouba, le likouala, etc.

Du nord au sud du pays, il est rare de trouver, dans les familles, les villages et les villes, des enfants qui manient la « langue maternelle » ou s’en passionnent. Tous, ou presque, parlent le lingala ou le kituba, si ce ne sont les deux langues nationales, sinon le français. Ici, au Congo, chaque parent, lettré ou non, met les moyens pour que son enfant ou sa progéniture excelle dans la langue de Molière. Certains, sanction à la clé, surveillent les propos de l’enfant comme le lait sur le feu.

La situation devient facile ou difficile, c’est selon, quand les deux parents n’ont pas une langue en commun. L’égo de chacun veut que l’enfant ne parle pas la langue de l’autre. On étouffe l’enfant et on s’étouffe. Si bien que le taux des enfants qui ne parlent pas les langues du Congo devient non seulement très élevé mais inquiétant. Parce que dans quelques années, ce patrimoine va disparaître avec les locuteurs dont l’âge va de 25 ans à plus.

Plutôt que d’interpeller, cette disparition annoncée de nos langues préoccupe peu. Ou pas du tout. Pour preuve, le système éducatif n’a jamais inscrit ne serait-ce que les deux langues nationales au programme scolaire. De l’école primaire à l’université, il n’existe pas de cours sur le lingala ou le kituba. Exception pour la faculté des lettres où deux ou trois départements en ont fait des modules, voire des U.V. à part entière.

Pour ce qui est du lingala et du kituba, leurs défenseurs que sont les journalistes des radios et télévisions ont toujours plaidé pour que les gestionnaires de l’Etat prononcent aussi leurs discours dans ces langues. Vain plaidoyer ! Même les élus du peuple, dont certains ont un commerce difficile avec le français, refusent de s’exprimer en lingala ou kituba.  Désintérêt ? Non. Complexe ? Posez-leur la question.

En attendant, la lente agonie de nos langues, nationales et maternelles, mérite un regard. En effet, chaque langue qui disparaît est une couleur de moins dans notre univers. Bien plus, cela est une invite à repenser notre modèle social. Autant, ils sont fiers, les Congolais à l’étranger, de communiquer entre eux, au-delà des partitions ethniques, dans une des langues nationales, autant, entre nous, on est fier de « balancer » un mot en vili, téké, lari ou mbochi à l’enfant. Forts, les Congolais le sont dans la revendication de leur identité. Mais cette légitime attitude ne tient pas si les pièces nécessaires à la constitution de l’identité nationale sont oubliées. Le cas des langues.

Que faire ? Les recettes existent. En d’autres termes, réparons cette fracture linguistique et repeignons notre société

Van Francis Ntaloubi

Notification: 

Non