Feuilleton: Samba De Dieu (9)

Samedi 17 Mars 2018 - 11:57

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  Des bouchers, des hommes bien en vue et quelques mégères des environs croisent leurs mauvaises langues sur le cordonnier Samba DD. On a vu dans l’épisode passé que cela n’avait pas prise sur notre artiste du cuir.
                    
 Comme déjà signalé et sans vouloir tomber dans le radotage, la renommée de Samba DD s’amplifia bien vite. L’écho de ses performances draina au Marché Total des clients venus parfois de Poto-Poto ou de plus loin encore dans la ville. Et bien vite un phénomène nouveau naquit : il y eut plus de curieux voulant mettre l’homme à l’épreuve que de véritables hommes et femmes aux chaussures en désarroi. Mais jamais personne n’eut à se plaindre. De quoi pouvait-on se plaindre, d’ailleurs: le délit de harcèlement n’existait pas encore. Et puis, à travail fini, Samba DD livrait la marchandise avec un soin de gardien de cimetière. Silence et componction. Rien d’autre que la main du client ébahi glissant dans la poche pour en sortir les sonnantes et les trébuchantes, en billet ou en pièces. Transaction silencieuse, travail soigné, chaussure prête à respirer de nouveau les miasmes de quelque cartilage bouffi d’arthroses mais revenant à la vie pour se pavaner à quelque fête de quartier.

L’homme et son œuvre parlaient au quartier et à la ville. Les pieds entendaient ce langage en premier et disaient leur contentement.
Devant l’atelier de Samba DD, les paires de chaussures venaient raconter leur histoire et leur destin, expirer, avant de renaître à la vie. Les anecdotes nombreuses.

On raconte, par exemple, celle d’un tenancier de bar qui, voulant botter les fesses à sa femme, perdit son soulier droit. Furieuse au maximum, l’épouse s’en saisit et la jeta tout simplement au feu où mijotait la marmite récalcitrante qui avait été la cause de cette scène cocasse. Aller faire le fier dans les allées de Total avec un soulier à moitié brûlé ! Toute la ville s’en tordit à fendre côte. Tous les barmen d’ici s’en firent leurs choux gras.

Mais notre cabaretier n’en perdit pas son sang-froid pour autant. Il s’en vint trouver Samba DD avec l’air implorant du paludéen devant la dernière quinine en pharmacie. L’artiste regarda le soulier au bout calciné, fixa l’homme, jaugea le travail à accomplir. Et décréta : « 3500F ».
Je ne vous raconte pas la rapidité avec laquelle la main du barman s’en alla fouiller dans la poche.
Pendant que le cordonnier s’affairait, l’homme, pieds nus sur exigence du médecin-réparateur-traitant, attendit deux bonnes heures. Au bout desquelles le résultat, dit-on, remplit de fierté même l’épouse rebelle.

Samba DD avait tout simplement imaginé des sortes de manchons de cuir blanc dont il coiffa non seulement le soulier droit, noir, mais aussi le soulier gauche pour faire la paire identique. Un coup de colle, quelques points de couture bien ajustés et un zeste de cirage finirent par produire le miracle.

La ville se prit à rêver de chaussures bicolores. De chaussures ajoutant une dimension de charme à qui les portait. Des charmeurs impénitents en tombèrent fous-amoureux, car elles assuraient cette attirance que seules procurent les choses rares. Oui, il y eut des imitations par-ci par-là. Mais le Congolais est homme de flair, il vous détecte de loin un piratage et décrète : « faux », « falso », « fake » ou bien, ainsi qu’on assure aux environs du Marché Total, « Za Foua ». Le Congolais verra toujours son cœur flancher pour l’original.

  Nous verrons au prochain épisode que Samba DD est un homme, un vrai, contrairement à ce que prétend le boucher du Marché Total. Nous verrons au prochain épisode le rôle trouble d’une femme aux bottes rouges dans son entourage. (A suivre).

Lucien Mpama

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