Interview. Fathia Elaouni: « 80% de la migration est intra-africaine »

Lundi 5 Novembre 2018 - 18:01

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La rédactrice en chef de la deuxième radio nationale du Maroc, 2M, initiatrice du Réseau des femmes journalistes d’Afrique, a, à l’issue de la deuxième édition de leur forum organisé les 25, 26 et 27 octobre à Casablanca, insisté sur le rôle des médias de rétablir la vérité sur la migration africaine, thème principal de leurs assises. Au total, cinquante radios, seize agences de presse, trente-cinq télévisions, soixante supports de presses et vingt-quatre médias en ligne y ont été représentés.

 

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Vous êtes l’initiatrice du Réseau des femmes journalistes d’Afrique ,« les Panafricaines ».  Pourquoi les Panafricaines?

Fathia Elaouni (F.E.): Oui, je suis la rédactrice en chef principale. L’initiative est née d’une volonté au sein de mon groupe 2M dont dépend radio 2M. Nous souhaitions, en 2017, marquer la journée de la femme différemment. Nous souhaitions pour la première fois donner la parole à celles qui la donnent mais qui ne s’expriment jamais en leur propre nom, à savoir les journalistes, et ce fut un succès immédiat. Nous avons eu des dizaines de demandes d’adhésions. Nous nous sommes arrêtés au chiffre cent, parce qu’il était des plus symboliques. Cette rencontre nous a permis également de réaliser qu’avec nos consœurs du continent, nous avions les mêmes problématiques. Mais malheureusement, nous n’avions aucun échange. Pire encore, nous ne nous connaissions pas. C’est ainsi que le premier réseau des femmes journaliste d’Afrique a été lancé.

L.D.B.: La deuxième édition des Panafricaines a regroupé cette année plus de deux cents journalistes. Comment justifiez-vous cette mobilisation ?

F.E. : C’est incroyable, d’année en année, l’engouement des journalistes est plus fort. Deux cents journalistes des cinquante-quatre pays du continent, c’est inédit. Cette mobilisation prouve bien que nous sommes capables de changer les choses, de transmettre des messages forts. Nous avons épluché des dizaines de profils, lu des centaines d’articles, regardé des dizaines de sujets télévisés, pour avoir la crème journalistique sur le continent.  Les femmes journalistes d’Afrique sont fortes, capables de nous apprendre beaucoup, de partager leurs expériences…

L.D.B. : Votre réseau, les Panafricaines, est devenu incontestablement le plus grand de la presse féminine africaine. Quel est votre secret et comment entendez-vous maintenir cette flamme ?

F.E. : Cette flamme qui nous anime toutes  est tout d’abord celle de la passion de notre métier.  C’est une flamme qui n’est pas prête de s’éteindre.  Bien au contraire, elle a été ravivée à Casablanca. Ce sont des moments rares, parce que jamais les journalistes n’ont le temps. Nous sommes dans nos rédactions, sur le terrain, nous avons rarement l’occasion de réunir autant de consœurs dans un même lieu. Avec les Panafricaines, j’ai l’impression que tout devient possible. 

L.D.B.: Deux jours durant, les Panafricaines ont échangé sur la question migratoire dans tous ses détours avec l’aide des experts en la matière. Avez-vous atteint vos attentes ?

F.E. : Nous avons un rôle crucial, celui de rétablir la vérité sur la migration africaine. Nous ne pouvons plus laisser passer les messages mensongers sur la réalité. Oui, il y a des drames, des jeunes tentent, au péril de leur vie, la traversée vers les côtes européennes. Mais ce n’est pas la seule migration, ce ne sont pas les bons chiffres que nous lisons sur la presse. Il faut aujourd’hui casser les mythes, donner les bons chiffres.  80 % de la  migration est intra-africaine, ça c’est la réalité. Sur cinq Africains qui migrent,  quatre restent sur notre continent. Alors pourquoi certains médias parlent de déferlante migratoire ? Il n'y a que des médias africains qui peuvent rétablir la vérité. Il est temps de retrousser les manches et de nous mettre au travail pour montrer le véritable visage de la migration. Nous sommes deux cents et je peux vous assurer que dans les prochains mois, les Panafricaines deviendront une véritable force de proposition. Nous avons, durant ce deuxième  forum,  étudié lors des ateliers six thématiques autour de la migration, la mobilité féminine, la jeunesse en errance, la sécurité alimentaire, la migration intra-africaine. Chaque atelier était en présence d’un expert, accompagnant pour éclairer les Panafricaines, leur parler de la réalité sur le terrain. Ces ateliers ont été d’une extrême richesse pour toutes.

L.D.B.: Fathia Elaouni, quelques jours après le lancement de votre réseau en 2017, vous tentiez en vain de mettre en place le bureau de votre organisation alors que tous les membres, à l’unanimité, vous proposaient à la présidence du réseau. Avez-vous enfin la réponse à cette préocupation ?

F.E. : Vous avez raison.  C’est aujourd’hui chose faite. Durant cette deuxième édition, nous nous sommes dotés des mécanismes adéquats pour nous structurer. Un comité de suivi de l’action que nous allons porter, un comité permanent qui sera la cheville ouvrière des Panafricaines et enfin la plus haute instance, un comité des sages qui regroupe des femmes puissantes dans les médias, des directrices de chaînes de télévisions ou de radios, des directrices générales de l’information. Ces femmes vont non seulement nous guider mais aussi, avec leurs expériences respectives, nous ouvrir des portes inaccessibles. Je pense que vous voyez de quoi je parle. Nous voulons interpeller les politiques, les organisations internationales, nous voulons également sensibiliser l’opinion publique.

L.D.B. : Pouvons-nous dire que vous devez cette organisation à vos partenaires ?

F.E. : Faire venir des quatre coins de l’Afrique des journalistes a un coût très important, nous prenons entièrement en charge les Panafricaines. Donc, vous imaginez bien que c’est beaucoup d’argent. Nous avons la chance d’avoir une compagnie aérienne, la Royale Air Maroc (RAM), qui dessert une bonne majorité des pays. Dès la première édition, la RAM  a cru en nous, au projet, et elle a pris en charge 80% des billets d’avion. Oui, je peux vous dire que sans elle, nous n’y serions pas arrivés. Cette année, d’autres partenaires nous ont rejoints, l’AMCI par exemple, l’Agence marocaine de coopération internationale. Plus de cent onze pays bénéficient des activités de l’AMCI avec une attention particulière pour l’Afrique où quarante-six pays sont concernés.  Cette année, d’autres partenaires privés nous ont également rejoints, des partenaires qui veulent, tout comme nous, mettre en avant cette Afrique forte.

L.D.B. : Si on vous demandait de dire un dernier mot, ce serait lequel ? 

F.E. : Ténacité. Il va falloir, à nous Panafricaines, beaucoup de ténacité, de persévérance, pour parvenir à faire entendre nos voix sur le continent mais aussi ailleurs. Et cette ténacité, je peux vous garantir que nous l’avons toutes. D’où, notre slogan qui est un vieux proverbe africain :  "Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin". Mais vous qui m’interviewez, je compte bien sur vous aussi pour nous soutenir.

 

Propos recueillis par Charlem Léa Legnoki

Légendes et crédits photo : 

Fathia Elaouni / Adiac

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