Interview. Général de division Christian Baptiste : « On n’apprend et on n’enseigne jamais assez l’Histoire »

Samedi 17 Novembre 2018 - 13:00

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Le délégué national de l’Ordre de la Libération a pris part, le 12 novembre à l’Hôtel des Invalides, à Paris, à la conférence présentation du livre "Le Congo dans la Première Guerre mondiale" de l’historien congolais Léon Bemba. Dans cet entretien, il souligne la nécessité pour tous les pays de continuer à regarder leur histoire en face et l’enseigner aux jeunes générations pour mieux lutter contre les révisionnistes qui veulent juger l’histoire avec les lunettes d’aujourd’hui sans connaître ou prendre en compte le contexte de l'époque.

Les Dépêches de Brazzaville  (L.D.B.) : Mon général, la conférence autour du livre « Le Congo dans la Première Guerre mondiale » ne vous a pas laissé indifférent.

Général de division Christian Baptiste (G.C.B.) : Effectivement et pour plusieurs raisons. Cette conférence a eu lieu aux Invalides. Il se trouve que j’ai dirigé le Musée de l’Armée pendant plusieurs années et une de mes dernières décisions concerne l’ouverture prochaine de salles consacrées à la période colonisation-décolonisation.

Je suis moi-même issu de la colonisation. Né à Saïgon d’une mère vietnamienne, j’ai vécu sept ans en Afrique, dont deux ans comme capitaine au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo, ndlr) et deux autres en tant que commandant au Togo. Et non pas au sein de troupes françaises mais au sein de l’armée zaïroise puis togolaise. Le sujet évoqué aujourd’hui ne me laisse donc pas insensible en tant qu’homme et en tant que militaire. C’est un sujet essentiel. On n’apprend et on n’enseigne jamais assez l’histoire et la France, comme tous les pays, doit continuer à regarder son histoire en face. Le lieutenant-colonel Bertrand, qui est intervenu lors de cette conférence, a admis que des pans entiers ne sont pas assez éclairés en citant l’exemple des soldats africains mais des soldats métropolitains et de l’Empire qui ont combattu dans les Dardanelles.

L.D.B. : On voit beaucoup circuler sur les réseaux sociaux des documents et des photos sortis de leur contexte. N’est-il pas nécessaire de matérialiser ces pans de l’Histoire dans des musées, des universités, que ce soit en Europe ou en Afrique ?

G.C.B. : La connaissance de soi-même et celle des autres permet des relations apaisées. Lorsque Christian Eboulé (ndlr : journaliste intervenant lors de la conférence) explique que certains jeunes estiment que les tirailleurs auraient pu être des traîtres à leur patrie, cela montre bien que l’on n’enseigne jamais assez l’histoire. Ils ne pouvaient être des traîtres, puisqu’ils faisaient alors partie de l’Empire français.

C’est pour cela que j’ai voulu la création de ces salles colonisation-décolonisation au Musée de l’Armée, pour que ces jeunes Français, originaires d’Afrique du Nord ou d’Afrique noire, sachent pourquoi ils vivent en France, en tant que Français. Je pense aussi que connaître, donc enseigner, l’histoire est le meilleur moyen de lutter contre les révisionnistes qui veulent juger l’histoire avec les lunettes d’aujourd’hui sans connaître ou prendre en compte le contexte de l'époque.

L.D.B. : Comment pensez-vous possible de concrétiser ce pont de la mémoire ?

G.C.B. : Il est évident qu’il faut multiplier les échanges universitaires, que ce soient les étudiants ou les professeurs, les partages d’archives et les colloques dans les pays dits du Nord mais aussi et surtout du Sud. Il est nécessaire d’établir une coopération au niveau des archives, qu’elles soient mises en ligne et exposées pour que chacun puisse se faire sa propre idée et ne pas être otage des dominantes du moment. Par quels moyens ? Je ne suis pas un opérationnel sur la question mais je reste à la disposition de ceux qui souhaiteront ériger ce pont de la mémoire.

L.D.B. : Vous avez quitté cette conférence avec le livre « Le Congo dans la Première Guerre mondiale ». Un peu de lecture pour les prochains jours…

C.G.B. : Le Pr Bemba nous a fait découvrir cette histoire avec toute la passion qui l’anime. Je vais maintenant lire son ouvrage avec intérêt et rationalité. La mémoire doit toujours être enrichie de recherches historiques sérieuses et référencées, comme l’est le livre de Léon Bemba.

J’ai entendu, durant la conférence, l’un des intervenants dire que les Africains doivent s’emparer de leur propre histoire et l’écrire. Leurs propres thèses pourront alors s’enrichir avec celles déjà existantes.

Nous devons étudier l’histoire pour comprendre les ressorts d’une époque comme la colonisation, analyser les faits, sans les juger en les décontextualisant.

L.D.B : En tant que délégué national de l’Ordre de la Libération, vous êtes forcément sensible à l’histoire du Congo et de sa capitale, Brazzaville…

G.C.B. : Lors de la conférence, le Pr Bemba a souligné que l’apport de l’Afrique équatoriale française était  moins bien considéré que celui de l’Afrique occidentale française. C’est probablement vrai pour la Première Guerre mondiale mais pas pour 39-45 : Brazzaville a été la capitale de la France Libre et l’Afrique équatoriale française a permis au général De Gaulle de donner une matérialité et une réalité à la France Libre.

En créant le 16 novembre 1940, à Brazzaville, l’Ordre de la Libération (la Légion d’Honneur est alors entre les mains du maréchal Pétain) et en signant la Déclaration organique, qui est, en simplifiant, une sorte de constitution de la France Libre, le général de Gaulle démontrait l’illégitimité du Régime de Vichy et déclarait qu’il était, par intérim, dépositaire de la République.

Sans l’Afrique équatoriale française, la France Libre aurait eu beaucoup de mal, en 1940, à exister.

 

 

 

Propos recueillis par Camille Delourme et Marie-Alfred Ngoma

Légendes et crédits photo : 

Le Généra Baptiste répondant aux questions du journalistes des Dépêches de Brazzaville/ DR

Notification: 

Non